Mène "manche dans une partie de jeu de boules...
Mène « manche dans une partie de jeu de boules ». René Domergue Avise, la pétanque! donne une définition très précise :
Une mène : temps entre le lancer du petit et le lancer de la dernière boule (plusieurs mènes dans une partie).
En dehors du milieu bouliste et des joueurs à la belote le mot doit être rare. Même Google ne donne que très peu d’exemples.
Dans les dictionnaires de l’occitan il y a plusieurs mots mèna, mène, mais aucune signification qui s’approche de « manche dans un jeu »1.
- Dans le dictionnaire de l’abbé de Sauvages (S1) il y a deux articles mèno : une mèno « scion de greffe », et mèno « espèce, race », par exemple chi dé bono méno « chien de bonne race » et le dérivé mènier « tête de châtaignier à greffer, c’est un châtaignier franc récépé et taillé en moignon, qui fournit tous les ans des scions…. ». Sens classés dans le FEW VI/2, 102b-103a comme dérivés du verbe minare. Ce sens est encore vivant à Nîmes en 1989 d’après Joblot2, qui donne la définition suivante « une mène est un genre, race, qualité » , et un exemple : Il possède deux scies de mènes différentes. Pour lui « ce mot mène est entré dans le vocabulaire courant des joueurs de boules qui désignent de ce nom chaque nouvelle partie du jeu. L’équipe qui a gagné la mène achevée mène la mène nouvelle. Je crois que Joblot est tout près du sens qui est à l’origine du sens « manche » : une action ou un élément d’un ensemble.
- En occitan il y a une autre mena, ou meno qui signifie « filon de minerai, mine » en qui vient du gaulois meina « minerai », mais rien qui m’explique le sens « manche dans une partie de jeu de boules ».
- Enfin Claudette Germi, Mots de Champsaur, Hautes Alpes. Grenoble, 1996i me fournit un autre emploi de mène : »Encore quelques mènes et ils auront fini de labourer. » et l’emploi du même mot dans la même localité dans un autre jeu : « On a fait un concours de belote, on croyait gagner, mais à la dernière mène, ils ont eu un carré d’as et un cinquante…. Pauvre de nous.
Elle cite le travail de Gaston Tuaillon 3 qui a donné la définition suivante pour le mot mène dans le parler franco-provençal de Vourey (Isère)
Un aller (ou un retour) dans un travail comme les labours ou dans un jeu comme le jeu de boules où l’on ne cesse d’aller et de venir ».
La première attestation de ce sens en ancien occitan est mena « manière d’être » ( XIIe-XIIIe s.), qu’on retrouve en italien, chez Dante mena « condition, sorte ». En occitan moderne, c’est l’expression de bouono meno « de bonne qualité » qui domine.
L’étymologie serait alors le verbe menar « mener, conduire, accompagner, exploiter un domaine agricole » du latin minare « conduire ». Un dérivé de menar, menada signifie « ce qu’on mène en une seule fois; quantité d’olives qu’on détrite en une fois » (Alibert). Le même sens est aussi attesté pour le mot voyage (Mistral, Champsaur)
Je crois avoir trouvé une autre explication de l’évolution sémantique que celle proposée par G.Tuaillon. Je pense que le passage du mot mèno dans le milieu bouliste, est parti de l’expression de bouono meno . L’équipe qui a gagné « a fait un jeu de bouono meno, et pour ne pas vexer l’équipe adversaire, il faut admettre qu’eux aussi ont fait une bouono meno. Une mène est par conséquent toujours bouona.
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- D’ailleurs le même problème existe pour le sens de « manche ». Le TLF suit le FEW et donne comme étymologie manche « partie de vêtement …. » sans pouvoir l’expliquer. Pourtant von Wartburg (FEW) écrit dans une note que le lien sémantique reste mystérieux. Alain Rey écrit sans me convaincre « Par analogie moins transparente manche a pris le sens « tour de cartes » 1607, d’où « partie liée à une autre » (1803) , les deux parties jouées étant comparées aux manches solidaires d’un vêtement. ↩
- Petit vocabulaire local à l’usage des gens du Midi. Nîmes, 1989 ↩
- Les régionalismes du français parlé à Vourey, village dauphinois. Paris, 2000. page 250 ↩