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Sopar, dinar, dejunar

Sopar verbe »prendre le repas du soir »; subst. « le repas du soir ». dinar, dinnar « prendre le repas principal de la journée, à midi ». dejuna (prononcez dédžuna) « prendre le repas du matin, en français ‘le petit déjeuner’. Pour l’étymologie voir le TLF soupe,du germanique *suppa « pain trempé », déjeuner et dîner  tous les deux du latin *disjejunare « rompre le jeun ».

Les formes occitanes et françaises sont presque identiques , mais les sens sont différents. Ce qu’on appelle des faux amis. Leurs histoires sont liées, ce qui m’incite à les traiter ensemble et de jeter un coup d’oeil chez nos voisins européens, pour voir ce qui est arrivé chez eux.

En surfant sur le web, vous trouverez de nombreux sites( 1 ; 2 ; 3 ; 4 ) qui décrivent et expliquent les changements de sens en français de l’étymon disjejunare « rompre le jeûne » qui évolue du repas du matin vers le repas principal de la journée pris à midi, puis le soir. En 1993 a paru un article de J.L.Flandrin Les heures du repas dans : Le Temps de manger : Alimentation, emploi du temps et rythmes sociaux de Maurice Aymard , Claude Grignon et , Françoise Sabban dont vous pouvez consulter des extraits (Google, livres), notamment les p.221 ss.

Les noms et les heures des repas en occitan ou en français régional n’ont pas subi le même décalage qu’en français. Au Canada également les trois repas sont le dejeuner, le diner et le souper. En 1756, l’abbé de Sauvages dit qu’en français je ne déjeune jamais le matin est un pléonasme comme dire je ne soupe jamais le soir , puisque le soir on mange la sopa.

Sopa est un mot  d’origine germanique : *suppa « pain trempé » déja attesté en ancien occitan:  sopa « tranche de pain sur lequel on verse le bouillon », sens conservé en catalan sopa « morceau de pain dans du bouillon ». Le mot existe également en néerlandais soppen « tremper », sop « jus, liquide; sauce »; sopbrood « trempette »; zeepsop « lessive », etc. En anglais sop « trempette » et le verbe to sop « tremper » l’adverbe soppy « très mouillé; > sentimental » milksop « une personne faible et inefficace » littéralement « trempé dans le lait » et le verbe to sup , a sup « une gorgée » font partie de la même famille de mots. En italien  zuppa  et zuppare « verser le bouillon sur des morceaux de pain » et inzuppare « tremper le pain dans la zuppa. !

La différence entre la soupe et le potage est justement que dans la soupe on trempe le pain. et de nos jours plein de bonnes choses. Une bonne soupe est un repas complet, tandisqu’un potage est un plat d’introduction. Sopa donne par conséquent le verbe sopar.

   
soupe                             potage

Autrefois tremper le pain était une nécessité! Quand je faisais mes enquêtes dialectales en Vallée d’Aoste dans les années ’60, mes informateurs m’offraient régulièrement du pain typique de la région, du Pan Ner c’est-à-dire du pain noir cuit dans le four communal, une ou deux fois par an et qui se conservait pendant des mois sur des rateliers. Il était dur comme un caillou. Il fallait bien le tremper.

Suivez le lien: Le pain du Val d’Aoste – Un pain noir original, parfumé, savoureux et bon pour la santé.

Les noms des repas dans les langues européennes

(Eine Übersetzung finden Sie hier)

 

 Langues
Repas du matin
Repas de midi
Repas du soir
Repas tard le soir
Autres repas
Occitan dejunar dinna(r) sopa cena saqueta; tuga-vèrme etc.
Catalan desdejuni dinar sopar cena
Français petit déjeuner déjeuner dîner souper casse-croûte; goûter; collation
Italien prima colazione pranzo; colazione cena cena spuntino; zuppa
Espagnol desayuno almuerzo; comida cena; comida cena tentempié
Portugais pequeno almoço almoço jantar cena refeição ligeira
Allemand Frühstück Mittagessen; Imbiss Abendessen; Abendbrot Abendessen Imbiss
Néerlandais ontbijt middagmaal; noenmaal (Flamand) avondeten; diner (chique) souper (chique) hapje
Anglais breakfast lunch dinner supper snack

Ci-dessous j’ai groupé les différents types étymologiques  des noms.

  • Le type « rompre le jeûne » : occitan et français déjeuner , dîner; anglais breakfast (break « casser », fast « jeûne »), dinner; espagnol desayuno; portugais jantar (étymologie du latin jantare, jentare « prendre le petit déjeuner », de la famille jejunus « jeun »). Un peu éloigné sémantiquement: portugais refeição littéralement « réfection », comme français restaurant.
  • Le type qui fait référence au contenu du repas : sopa, souper, supper (« tremper »); allemand Abendbrot (Brot « pain »); anglais lunch (voir ci-dessous); français casse croûte.
  • Le type qui fait référence à la quantité : petit déjeuner; pequeno almoço
  • Le type qui fait référence au moment de la journée: italien prima (colazione); allemand Früstück (früh « tôt) Abendessen ; néerl. avondeten (Abend, avond « soir »), allemand Mittagessen (Mittag « la moitié de la journée) ; anglais lunch une abréviation de luncheon attesté en 1580, nonechenche composé de none + le mot espagnol lonja « une tranche(de pain) ». None est la neuvième heure de la journée; comme en flamand noenmaal (maal « moment »); italien pranzo du latin prandium « premier repas ». Cena fait allusion au dernier repas du Christ, le soir, mais il semble que le mot latin cena dérive d’une racine dont le sens principal est « couper ».
  • Le type qui fait référence à l’activité « manger« : espagnol comida ( com + edere); allemand -essen; néerlandais -eten et italien pranzo du latin prandium qui semble être composé avec le verbe edere « manger ».
  • Le type qui fait référence à une activité faite pendant le repas: italien colazione, français collation Emprunt au latin chrétien collatio « conférence, entretien, discussion », « réunion de moines, conférence faite aux moines » , spécialement la lecture faite aux moines pendant le repas.
  • Le type qui m’a étonné le plus et qu’on trouve dans les deux familles de langues, fait référence à la manière de manger : 1) « mordre »: espagnol almuerzo, portugais almoço (du latin morsus) mais aussi néerlandais ontbijt et allemand Imbiss (bijten, bissen = « mordre) qu’on peut traduire maintenant par snack, casse croûte. ; casse croûte; anglais snack dérivé du verbe to snack « mordre; casser », un emprunt au moyen néerlandais snacken ‘mordre gouluement’ ; (> snakken « aspirer bryamment »); néerlandais hapje du verbe happen « mordre »; Italien spuntino « snack », littéralement « taille d’un pointe ». 2) « déguster » : Français goûter, espagnol tentempie « déguster debout, littéralement « tenter à pied ».
  • Très original est le témoin de St. André de Valborgne (Gard) qui a traduit : « prendre le petit déjeuner » > tuar lo vèrm.… »tuer le ver », .si on boit un coup de gnole (ALLOr-1171)

   

 

Socca

Soc(c)a « sorte de crêpe à base de farine de pois chiches », typique pour la cuisine niçoise et ligurienne. Voir panisso.

Semal, semàou

Semal, semàou est un autre dérivé  de sagma > sauma avec un affaiblissement de la voyelle avant l’accent de –a- en –e-.

Le sens passe du contenu « charge » au contenant « panier, cuve, baquet, cuveau », sens  bien attesté dans le Gard. L’abbé de Sauvages écrit qu’on se sert du semâou pour charier la vendange sur le bât d’un mulet, ou pour porter à bras le vin, au moyen de deux bâtons appelés sëmaliés.

Semàou et semailiés sont encore utlisés en français régonal d’après Lhubac, s.v. cambarot. Un sëmalou est un petit cuvier de bas bord.

Un dicton : Davant la porta un semal: « Devant la porte une comporte. » Un autre dans le recueil de Rulman de 1627 (voir cadereau):

deglesit « crevassé, déjoint »

Saladèlo

Saladèlo s.f. « statice limonium » d’après Mistral, saladela « petite oseille » d’après Alibert.

C’est un dérivé de sal « sel » parce qu’elles poussent sur des terres très salées, qu’elles tapissent de mauve à la fin de l’été. Il y a 6 espèces de saladelles en Camargue.  Le mot est passé en français depuis 1845 mais garde la connotation provençale (TLF). Comme il n’y a des saladelles qu’en Camargue, on peut affirmer qu’il s’agit d’un mot camarguais prêté au français.

statice limonium

Mistral donne plusieurs autres significations, mais nous n’avons pas trouvé des confirmations.

Rusco, rusca, ruscla

Rusco « écorce; tan « (S), rusca « écorce; tan; gouttière pour conduire l’eau; surface d’une pierre de taille; lard de porc entier; prostituée; crasse, saleté; sainbois (daphne gnidium) à Donnezan » (Alibert).

Rusco vient du gaulois rusca « écorce » (> ruche en français). La première attestation se trouve dans un texte en latin médiéval du VIIIe ou IXe siècle. La famille de mots rusca est également vivante en catalan et dans le nord de l’Italie. Dans le domaine de la langue d’oïl rusca a été remplacé par le type scortea « écorce »et en Gasccogne par le type pellis.

Dans le TLF s.v. ruche je trouve: « les ruches étant à l’origine réalisées à l’aide d’écorces d’arbres comme le chêne-liège; l’ancienne dénomination est restée pour désigner la ruche en paille tressée apportée dans la Gaule septentrionale par les Francs, car le rapport du mot rusca avec la matière utilisée n’était plus senti, le lat. scortea ayant remplacé rusca pour désigner « l’écorce » (cf. aussi des dér. de rusca pour désigner des objets variés, seaux à linge, mesures ou formes à fromage, réalisés à partir d’écorce ».

  • Le sens « écorce » s’est maintenu en occitan et en franco-provençal, également dans des dérivés comme à Ales rusquá « ecorcer » et au figuré « éreinter; frapper quelqu’un ». Un lecteur me signale que dans la région entre Béziers et Narbonne dérusca quelqu’un c’est « lui nettoyer la crasse en grattant fort » et par extension l’équivalent de l’argot français « recevoir une dérouillée » = trapa uno déruscado.
  • Le sens « tan » s’explique par le fait que l’écorce du chêne contient beaucoup de tanin et sert à tanner le cuir. En France, l’écorce de chêne fut la principale matière tannante végétale utilisée pendant des siècles. L’abbé de Sauvages donne la description suivante sous rusco : « tan, ou l’écorce brisée et moulue dans le moulin à tan et qu’on met par lits, alternativement avec les cuirs, ou les peaux dans le fosse au tan, c’est par ce moyen que le cuir se fortifie, et qu’il acquiert en même temps de la souplesse, en absorbant les sels et les huiles qui abondent plus dans l’écorce que dans le bois. » Il donne aussi le mot rosco, je pense accentué sur la finale, avec le sens « tannée »: c’est le tan qui a déjà servi dans les fosses et qui n’est plus bon qu’à brûler et à faire des mottes à brûler. Le feu de tannée dure longtemps et uniformement; ce qui le rend très propre pour l’éducation des vers-à’soie ».
  • Uniquement en bas-limousin j’ai trouvé une autre attestation du sens « lard de porc entier ».  A  Lallé (Hautes Alpes) russia signifie « porc ouvert et salé » et à St.Martin de la Porte en Savoie c’est « la carcasse du porc débarrassée des organes intérieurs ». Cela doit ressembler à une ruche ou un arbre vue de l’intérieur…
  • Le sens « crasse, saleté » et au figuré « prostituée » de rusco s’est développé à partir du sens « écorce » > « croute ».
  • En ouest-languedocien et en gascon, un dérivé rusquié désigne le « cuve à lessive » et ruscado la « lessive », ruscà « faire la lessive » c’est-a-dire « enlever la crasse » à Toulouse.
  • Le sens « sainbois » doit s’expliquer par une utilisation ou un phénomène naturel, puisqu’en allemand il s’appelle Seidelbast (littéralement « écorce d’abeille commune » de Zeidel, « abeille » en langage populaire, et Bast, « liber, écorce »). Si vous savez pourquoi n’hésitez pas à me contacter.

Dans un site allemand, je trouve que les sainbois fleurissent très tôt au printemps et que les Zeidler « apiculteurs au moyen âge » mettaient autrefois leurs ruches au milieu des sainbois, ce qui expliquerait le nom. Le nom français sainbois, aussi saintbois s’expliquerait par le fait que l’écorce est utilisée comme vésicatoire en pharmacopée.

En ancien occitan on trouve une forme ruscla attestée à Tarascon et Nîmes aux XIVe-XVe siècles avec le sens « écorce ». Le mot est encore vivant dans les patois de l’Aude,  dans la région de Loriol et à St Hippolyte du Fort (Gard, voir ci-dessous vin de ruscle) etc., et le verbe composé avec porrum « poireau » : espourruscla « gratter l’écorce du pin » mais aussi « faire sa toilette à grande eau » en Lomagne. et là il doit y avoir une influence de notre ruscle « averse » ou bien celui-ci avec ce sens fait partie de la famille rusco, comme le catalan « ruixat » et le verbe ruixar « jeter un liquide en pluie ».

Parfois l’étymologie est utile! Ruscla « écorce »  Forme attestée depuis le moyen âge. Une visiteuse de St Hippolyte du Fort (30) m’écrit:

Bonsoir. Je cherchais une explication à une recette qui soigne le pelage des animaux qui se grattent et que je connais sous le nom de « vin de ruscle ». Grace à votre définition je comprends que ruscle n’est pas seulement une grosse averse mais aussi l’écorce. Le vin de ruscle est bien la recette que je connais : Faire bouillir de l’écorce fraiche de chêne dans du vin. Laisser refroidir et passer sur le pelage s’il n’y a pas de plaie. Merci beaucoup.