Tauvera, talvera
Tauvera, talvera s.f. « bord de champ qu’on ne peut travailler ». Un visiteur de la Haute-Vienne m’écrit :
Il y a bien longtemps, j’ai guidé les vaches de mon père pour tracer ce premier sillon : « Pitit, vene m’ajudar per far la tauvera! ».
Un mot qui a traversé des siècles. L’origine est une racine gauloise *talu- « front » (de la tête), en irlandais moderne tul, tulach « front », breton tal « front, pièce arrière (de barrique, charrette, & bateau…), & chevet, parement, pignon. ». Aux temps de Celtes a été formée une forme *talwa avec le suffixe -ara > *tálwara qui par métaphore a pris le sens de « bord d’un champ » conservée en Anjou tôvre « talus », dans le centre de la France tauvre « espace de terrain inculte, relevé en forme de butte », à Barcelonette táoubra « bord non cultivé d’un champ ».
*tálwara > tálvera parce que le deuxième –a- était atone. Par la suite d’un déplacement d’acent tálvera est devenu talvéra que nous rencontrons dans le Dauphiné ainsi que dans le centre et l’ouest de l’occitan : tarvéra « espace nécessaire pour tourner la charrue, à chaque extrémité d’un champ labouré ». Le même sens existe dans les Hautes-Alpes, Alpes Maritimes, Tarn et Garonne, le Quercy, Aveyron , Lozère, etc.
Les Corréziens sont des joyeux drilles : tóouvéro y a pris en plus le sens « tour de danse ». Un autre suffixe, -enna, qui est probablement d’origine prélatine, est à l’origine de certaines formes. Notamment en dauphinois et en rouergat le suffixe -era a été remplacé par le suffixe plus courant -aria : à Forcalquier towveyra « bordure qui se laboure en travers », Aveyron toubeyro. Dans le Massif Central a été ajouté le suffiix latin –ella : Allier travellen, Thiers tovelo , Ambert tèuvello « chaintre, lisière d’un champ ».
et en Corrèze :
Tauvera, talvera ne sont pas les seuls qui ont traversé les siècles. D’autres familles de mots formées avec talu-* : talpena « auvent », talabaltz « bouclier », et des taumon « motte de terre » en franco-provençal (Suisse)