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Empeutar, enter, ensertar, greffer

Empeutar « greffer ». Je viens de recevoir les Lectures de l’Atlas linguistique de la France de Gilliéron et Edmont. Du temps dans l’espace. Guylaine Brun-Trigaud, Yves Le Berre et Jean Le Dû. CTHS, 2005. 363 p. (voir Abréviations). Gilliéron et Walther von Wartburg en ont rêvé, Guylaine Brun-Trigaud, Yves Le Berre et Jean Le Dû l’ont fait, au moins partiellement. Étant en train d’étudier l’étymologie de empeutar et d’autres verbes avec le sens « greffer », j’étais très content de trouver trois cartes sur ce sujet dans leur livre. Voici une compilation de leurs cartes 377 « enter/greffer » et 192 « empeuter »: (la zone « enter » est un peu amputée).

Enter, entar, enta Le type enter couvrait au Moyen Age tout le Nord du domaine galloroman. Le type greffer a été dérivé du substantif greffe au 15e s. Greffe « pousse d’une plante qu’on insère dans une autre pour que celle-ci porte le fruit de la première » est un emploi au figuré de greffe « stylet pour écrire sur des tablettes de cire » (13e s.) < latin graphium  » stylet ».
Greffer Nous voyons immédiatement que le verbe greffer a gagné beaucoup de terrain et que cette extension vers le Sud suit la grande route le long du Rhône. Il y a aussi des attestations en Aquitaine. Je reviendrai sur ces taches gris-bleu dans les Pyrénées Atlantiques et les Landes..
Empeutar Le type empeutar domine dans l’Ouest de l’occitan. La forme de la zone bleue en particulier les deux îlots à l’ouest et à l’est sur la carte indiquent que le type empeutar a été plus étendue autrefois.
Enserta(r). D’après les données du FEW c’est le type enserta qui domine en provençal et en est-languedocien

Mistral,  Trésor

Issarta, issartar « greffer », isser « ente » d’après l’abbé de Sauvages. Les auteurs des Lectures de l’ALFn’en parlent pas et dans le Thesoc les départements de l’est-occitan sont (encore?) absents.

Dans la carte ci-dessous : gouttes bleues : « empeutar » , gouttes mauves « empeutar » + « greffar » en parlant de la vigne, gouttes vertes « greffar« , gouttes turquoises = « ensertar, ensertir« .


Afficher Thesoc, « greffer » et « greffon » dans le Sud-Ouest sur une carte plus grande

Et je me suis permis d’élargir l’horizon. J’ai consulté le FEW et j’ai fait une carte avec en plus les zones en Europe où nous retrouvons les même types étymologiques. Sur la carte de l’Europe ci-dessous, nous voyons que le type greffer est pratiquement isolé en Europe. L’anglais l’a emprunté à la fin du 15e s. to graft, en remplacement du verbe to imp, parce que ce dernier avait pris une connotation péjorative dans des expressions comme imp of Satan. (Harper). Imp signifie en anglais moderne « espiègle, petit diable ».

Je viens de constater que j’ai vu trop petit et que j’aurais dû inclure les pays scandinaves, danois podede, norvégien podet, suédois impade, et une langue celtique, le gallois. (Les formes sur la carte sont le résultat d’une traduction de la phrase « je veux greffer une rose » avec Google traduction. Je suis sûr qu’il y a des formes qui manquent.

Greffer.
Suédois ympning, Norv. Impoding , Danois podning = imputare
Corse insita, inzeta
Gallois impio = imputare
Portugais enxertia = insertare; Gallician idem
Catalan empelt = impeltare

Entar vient indubitablement du grec εμφυτος emphutos « gréffé sur » respectivement du verbe εμφυτευειν emphuteuein « greffer »( attesté chez Theophraste, 4e s. avant J.-C.), composé de em + phuteuo « planter ». Beaucoup plus tard le mot grec a été latinisé. Nous trouvons le substantif impotus « greffon » pour la première fois dans la Lex Salica (507-511), formé à partir du verbe latin *imputare qui n’est pas attesté. Le vocabulaire du greffage est essentiellement d’origine grecque. Les Grecs ont propagé la technique de la greffe autour de la Méditerranée. » La greffe sur végétaux a été inventée par les Chinois il y a plusieurs milliers d’années. Les Grecs et les Romains ont importé la technique en Europe et nombreux sont les auteurs de l’Antiquité à avoir écrit des manuels destinés à diffuser la technique au plus grand nombre. » (Wikipedia). Sur la carte de l’ Europe vous voyez que le type entar domine dans toutes les langues germaniques voisines. Si les traducteurs anglais de la Bible n’avaient pas adopté l’expression imp of Satan littéralement « greffon du diable » devenu « petit diable, polisson », le verbe to imp serait maintenant courant dans tout le Nord de l’Amérique.

Empeutar vient également d’un mot grec, à savoir de πελτη (peltè) « écusson ». Il y a eu une discussion entre les étymologistes. On a supposé comme étymon un latin *impeltare « greffer », à partir du verbe latin impellere « pousser vers, enfoncer » ou bien à partir de pellis dans le sens « écorce ». Les Romains appelaient un « écusson, bouclier » scutum et Plaute (2e s. av.J.-C) utilise déjà le diminutif scutella « carreau en losange » avec le sens de « greffe en écusson ». Il est donc très improbable qu’ils aient créé un verbe *impellitare , on s’attendrait plutôt à *scutellare,  mais ce verbe n’a pas existé. . Il est beaucoup plus probable que l’origine est le mot grec πελτη  (peltè) « écusson ». Il y a une façon de greffer en écusson. En changeant de milieu d’utilisation le mot a changé de sens. Les Grecs ont connu et propagé les deux façons de greffer, la greffe en fente et la greffe en écusson.
Les auteurs des Lectures de l’ALF écrivent que le verbe empeutar est une création locale qui a remplacé un plus ancien entar. Sur la carte de l’Europe vous voyez que ce n’est pas du tout le cas. Nous le retrouvons non seulement en catalan et aragonais, mais aussi en en ancien alsacien, en Souabe, en Bavière et en Tirol (Autriche). Von Wartburg pense que le type ouest-occitan a pu migrer vers le Sud de l’Allemagne par la région des Burgondes, mais vu la présence du type empelzar dans l’Est de l’Italie du Nord, il est évident que c’est plutôt par là que le mot et la technique se sont propagés. La Grèce n’est pas loin de Venise.

Enserta(r). Enfin un vrai mot latin. Les Romains avaient traduit le verbe grec emphuteuein « greffer » par inserere. Varron (116-27 av. J.-C) ecrit : pirum bonum in pirum silvaticum inserere « greffer un poirier de bonne espèce sur un sauvageon ». Le verbe inserere est irrégulier : insevi, insitum1     Déjà en latin on en a fait insero, inserui, insertum et ce participe passé insertum a donné la naissance à insertare > ensertar en provençal et est-languedocien, injertar en espagnol, enxertar en portugais et chertatu en basque. Il y a aussi quelques attestations en Aquitaine. (cf. la carte Google ci dessus).

Von Wartburg écrit que le type ensertar en Provence est un emprunt à l’Italien et qu’il a remplacé le type entar. J’ai des doutes. Cette répartition me fait penser à la répartition des types pedas / petas « chiffon » du grec pittakion « petit morceau de cuir ou de tissu » qui s’explique par une forte influence grecque à l’Ouest et une influence romaine à l’Est du domaine occitan.

  1.  De cet insitum a été dérivé insitare qui a abouti à innestare « greffer » en toscan.

le bolsín est une petite Bourse

Il y a quelques jours j’ai reçu un mail:

La demi finale du bolsin aura lieu à Manduel le jeudi 17 août 2017 à 18 heures aux arènes de Manduel.

Habitant  Manduel depuis plus de 20 ans,  connais un peu la course camarguaise, l’abrivadole raset et le raseteur, les spectateurs qui avertissent le raseteur avec  avisa lo biou et le toro piscine bien sûr, mais pas le bolsin non. Google m’indique qu’il y en a plusieurs dans la région, mais pas la signification du mot, qui est aussi  introuvable dans les  dictionnaires occitans et français.

Enfin dans l’article becerrada Wikipedia m’explique qu’il s’agit de tauromachie et pas du tout  de course camarguaise, une manifestation pour les aficionados et une nouveauté:

Entre becerrada et novillada est apparu un nouveau type de corrida pour débutants : le bolsin, qui n’est répertorié dans aucune encyclopédie. C’est aussi une corrida d’apprentissage qui se déroule avec des erales (veaux de moins de deux ans) et qui répond aux mêmes règles que la becerrada, que la novillada, que la corrida, et qui se déroule en habit de lumières11.

La note 11 « définition de bolsin »,,  m’amène à une page avec plus de détails(www.imagesplus.fr) :

BolsinPhotothèque

L’auteur écrit « le mot bolsin signifie « coulisse » en espagnol.  Comme d’habitude je vérifie. Le mot espagnol n’est pas bolsin, mais bolsín
(On prononce le  -i- et le -n). Ce sens ne se trouve pas dans le dictionnaire de la Real Academia, qui le définit comme une petite bourse ou marché:

bolsinRAEIl s’agit donc d’une réunion de boursiers en dehors des heures et du site réglementé.  L’etymologie est le mot bolsa « bourse » c’est-à-dire au sens de « Lieu où des personnes (négociants, agents de changes, courtiers, etc.) s’assemblent périodiquement » etc.  La Real Academia écrit:

bolsa deuxL’étymologie fournie par la Real Academia est le nom de famille flamande van der Bourse à Bruges.
Cela m’étonne, mais elle est aussi mentionnée avec réserve, dans le Trésor de la languefrançaise (CNRTL):

Guichardin dans sa Description des Pays-Bas [1567] chapitre Il Ritratto della Borsa d’Anversa, le mot borsa, d’abord appliqué à la bourse de Bruges, devrait son nom à une place où se trouvait la maison, ornée de trois bourses d’une noble famille appelée della Borsa [van Der Burse], lieu de réunion des commerçants de la ville

et  par le dictionnaire étymologique du néerlandais, qui y ajoute  :

Le mot flamand/néerlandais Beurs a été emprunté par différentes langues: allemand Börse [1531]; Anglais bourse; danois Børs; suédois Börs; norvégien Børs; français Bourse (encore avec majuscule) [1549]; Italien (via français) Borsa [18ème siècle]; espagnol bolsa.

L’hstoire de bolsin est récente. Une discussion dans le forum de  Wordreference   nous explique  que

Hoy en día el término[bolsin taurino] se refiere a un concurso para maletillas o aspirantes jóvenes (menores de 21 años) a toreros. Hay muchos al año y en distintas localidades de España. Pero hay referencias periodísticas de hace bastantes años en donde el término se empleaba con el sentido actual de « escalafón » [fr; hiérarchie; échelle]. Veamos unos ejemplos:

El origen del término « bolsín taurino » es el de « bolsa taurina« . Bolsa taurina era en el toreo, parece ser, lo que la bolsa de comercio en el mundo empresarial (comercial e industrial). Como ya dije anteriormente, lo que actualmente se denomina « escalafón ». He encontrado un artículo titulado « Alza y Baja » en el periódico madrileño « El Enano » del 23 de agosto de 1908, donde se puede leer:

« No hay cosa más variable y que esté sujeto á fluctuaciones que el papel taurino… En fin, lectores apreciables, que si todas las bolsas son inseguras, oscilantes y engañosas, la bolsa taurina es sobre cualquier otra de las que oscila más y alucina más. Y no hablemos del alza y baja de los matadores ya conocidos y juzgados de antes. Las corridas de provincias influyen en el mercado taurino con una eficacia aterradora… »

« Sigue subiendo el papel Quinito, que es el que más alto se cotiza este año en la Bolsa taurina. »
El País, Madrid, 9-5-1902.

Los Márquez, que tan lisonjera subida experimentaron en la bolsa taurina el lunes de Pascua, tuvieron el domingo último una lamentable depreciación. Es lástima. Estos valores, en alza durante el año anterior en casi todos los mercados de provincias, se cotizaron muy altos también en Madrid. ¿Por qué esta baja tan sensible? El pánico en las operaciones últimas pudieran explicar el fenómeno. Un poco de buena voluntad, más ánimo y menos mandanga es lo que falta a los Márguez para volver a recuperar el valor momentáneamente perdido.
Muchas Gracias, Madrid, 25-4-1925.

En français la même évolution s’est produite.(Voir bourse2 CNRTL). On parle de la Bourse du Travail, d’une bourse de timbres, et quand j’étais artisan lapidaire j’allais à des Bourses aux minéraux et fossiles.

 

 

 

 

Babáou

Babáou « sorte d’ogre pour effrayer les enfants » (Pézenas). A Clermont l’Hérault le babáou est défini comme une « bête imaginaire qui d’après la tradition, dévore les enfants méchants; espèce de tarasque » et dans l’Aveyron toute « personne maquillée ou deguenillée ». Babáou estmentionné comme languedocien dans le dictionnaire de  Trévoux du XVIIIe siècle.

C’est un dérivé d’une onomatopée bàu, bai qui exprime l’effroi, la peur, avec une duplication de la syllabe initiale qui provient peut-être du langage enfantin.

Dans les parlers occitans, nous trouvons plusieurs mots de la famille bàu, bai qui désignent des animaux , notamment des insectes, qui font peur ou qui sont repoussant comme babo « larve d’insecte » et babaroutoun « larve qui ronge les légumes; insecte qui ronge l’olivier », Barcelonnette bàbou ‘gros pou de tête’, lang. babarôto « blatte » ou barboto « cloporte » (S); Aveyron babaou « insecte en général », Gard babo « chrysalide du ver à soie ». Voir Alibert pour d’autres dérivés et composés, entre autres babarauda.

Un visiteur me signale l’emploi de babáou suivant:

Mon père (et mon grand-père) réservaient le nom de babaou aux « espèces de trucs » qu’on trouve collé au dessous des pierres de la rivière, formés par des matériaux ou minéraux collés entre eux, et dans lequel on trouvait un trichoptère et qui, une fois débarassé de son « étui » est un fameux appât pour les truites…

Ensuite je lui ai demandé des précisions sur la localisation, ce qui abouti à ce complément, qui peut intéresser des pêcheurs:

Le cas échéant, quelques photos de « la bête »…

baboaou en coquillelarve trichoptere

Il faut bien accrocher l’hameçon sur la partie « noire » qui est relativement dure, le reste étant tout mou.
L’autre jour, dans un « parcours de pêche » où on vous donne des grains de maïs, aucune truite ne voulait « mordre », je suis allé ramassé des babaous, elles se battaient…
Bonne journée…
Et continuez la mise à jour de votre bel ouvrage!
Mon grand-père parlait couramment l’occitan (on disait « le patois »)
Mon père le comprend bien et le parle un peu.Et moi, je suis obligé de faire des efforts pour comprendre quelques mots.
Merci à l’éducation « nationale » (ou « parisienne »?) qui a éradiqué cette langue!
Complétée par une belle photo du grand-père:
Jean de Tulle

Jean de Tulle

Babarauda « manteau de deuil à capuchon en usage autrefois à Montpellier; cagoule, domino de carnaval » (Alibert).

Un dérivé de baou qui provient du sens « épouvantail » attesté dans de nombreux patois notamment  franco-provençaux.
Un lecteur me signale qu’en russe un ogre s’appelle babayan « , féminin babaïka.

Un visiteur/collaborateur me donne l’information méditerranéenne que voici:

Bonjour,

Je vous signale concernant cet article : http://www.etymologie-occitane.fr/2011/07/babaou/
Le kabyle burebbu « chenille ». Une appellation circum-méditerranéenne probablement.

Concernant le dénomination de la coccinelle en lien avec celle de la poule en occitan, dans mon parler (Aït Bouyoucef, Kabylie des Babors), nous appelons la coccinelle tafunast, littéralement « vache ». J’ai tenté de m’expliquer la motivation de cette appellation du fait du mode de prédation de l’animal sur les pucerons, on pourrait dire que celle-ci les « broute. En tout cas ce n’est pas en rapport avec ses taches car notre race bovine locale (brune de l’Atlas sétifienne) n’est pas tachetée.

Je suspecte un latinisme dans le kabyle des Babors, dites-moi si cela vous fait penser à quelque chose : il s’agit du nom amundas« mangouste ».

Merci pour votre excellente page web,

Bonne continuation.

Bigour

Bigour, bigornau « murex » (Alibert), « littorine » (Panoccitan). Voir plusieurs sites Wikpedia à partir de Murex. Le sens exact ne m’est pas connu, il doit varier d’un endroit à l’autre.

                    Murex                                                          Bigorneau                                                                            Murex pourpier

C’est à partir d’une glande du murex (Bolinus brandaris) que les anciens ont obtenu la fameuse pourpre de couleur violacée. Utilisée pour teindre le parchemin et en teinture des tissus. C’était un pigment très très cher, connu   dès 1600 av. JC. La pourpre  a été utilisée jusqu’au haut moyen-âge. La recette aurait ensuite été perdue.  Il faut plus de 10 000 individus pour obtenir environ 1 gr. de pigment. Couleur citée par Pline l’Ancien, M. Pastoureau, F. Brunello..Tiré du site http://www.or-pigments.com/animaux.html. Dans la page Tyrian purple , d’un autre site, il y a une traduction en anglais de la recette de Pline l’Ancien. suivie d’un cours de chimie!

L’étymologie de bigour est latin bicornis « qui a deux cornes ou deux branches ». Le sens du mot s’adapte à son environnement. En français un bigorneau  est une espèce de petite enclume , et dans le milieu des corroyeurs une masse en bois qui sert à fouler les peaux mouillées; dans le Morvan on nomme bigour un trépied pour travailler le bois.   Le bigorne est aussi  un animal à deux cornes, par ex. en Suisse « un petit escargot » en Bretagne « un limaçon de mer, comestible », en Poitou c’est « un animal fantastique à deux cornes ». Enfin on s’en sert pour décrire des défauts corporels ou psychiques: dans le Queyras bigorno « personne stupide ».

Coulassou ‘coussin d’épaules’

Coulassou « coussin que l’on met sur les épaules quand on porte quelque chose de lourd ». ( l’accent tonique est sur le -ou-: Voir la  graphie phonétique pour Ucel en Ardèche dans l’e xtrait FEW II,893 ci-dessous.

deux coulassous

conservés jusqu’à nos jours.

Jean-Pierre, un manduellois d’origine ardéchoise, m’a envoyé des photos d’outilsagricoles encore utilisés par son père et qui sont oubliés de nos jours. Il s’agit de lo beso  « la baisse »  en français régional sorte de « hotte  » pour transporter le fumier,  et du lou coulassou , qui était utilisés pour le transport du fumier à dos d’homme dans deux régions ardéchoises dont la vallée de l’Eyrieux.1

  

Lo beso portée avec lo coulassou

 

 

Jean-Pierre me donne en plus le mode d’emploi de la besse .Hélas on n’a pas de video.

Quand on remplissait la besse (de fumier par exemple) on la calait contre un mur (ce qui ne manquait pas dans ce pays où les échamps sont omniprésents). Une fois pleine,on se baissait pour passer la tête entre les deux bras et on se redressait pour la soulever. Et pour le déchargement, on se baissait pour poser la pointe de la flèche au sol et on basculait le haut vers l’avant. Le tout était ainsi projeté au sol.

Dans un article de Jean-François Blanc,Deux paysages en terrasses de l’Ardèche pages 405-406 dans : Revue de Géographie de Lyon. 1981/4 se trouve une description de la besso et du coulasso, symbole du tranzport par l’homme dans cette région;

En ce qui concerne les transports, ils se faisaient soit à dos d’homme, soit à dos de mulet. Pour les transports à dos d’homme on se servait de la hotte (lo besso) . C’est un panier qui a la forme d’un prisme triangulaire reposant sur l’arête longitudinale. Il est maintenu en avant sur les épaules par deux longs bâtons inclinés qui convergent vers le sol 26. Dans ce dispositif, une sorte de capuchon rembourré protège la nuque du porteur et ses épaules ; il s’agit du coulassou, tellement connu des gens des Boutières qu’il avait donné son nom à une publication locale. Ce coussin rembourré, maintenu sur les épaules par une courroie de cuir qui passe sur le front, avait de multiples usages. Utilisé seul,il protégeait le porteur pendant le transport des tonneaux de vin ou des sacs de pommes de terre. La besse et le coulassou symbolisent réellement le transport humain dans les Boutières et sur le Gras de Chomérac. Sur certains versants toutefois, on faisait appel aux équidés pour porter ces lourdes charges.

Dans le site www.atelierpatrimoine.parc-monts-ardecrdeche. j’ai trouvé une autre photo de coulassou avec la bande sur le froont du porteuhe. j’ai trouvé une autre photo de coulassou avec la bande sur le froont du porteur:

coulassou avec bande cuir

De nos jours les paysans d’Eyrieux  produisent une espèce de pomme de terre; appelée les Échamps, appellation contrôlée je pense.

Coulasou est un dérivé du latin collare « collier de chien » qui a abouti à colà en provençal et colar, coulard en languedocien. Extrait du FEW II,893

 

  1. Sur l’agriculture dans ces paysages en terrasses voir l’article Deux paysages en terrasses de l’Ardèche de Jean-François Blanc.

Fougnar

Fougna,  fonhar a deux significations  en occitan 1. « pousser, cogner, soulever, presser » etc. 2. « bouder,  faire la tête ». Le composé fougne-merde prouve que le verbe languedocien fougna a (eu) deux sens

  • 1) fouiller, fureter, péjoratif ou parlant des animaux
  • 2) grogner, bouder. .
Il représente un verbe latin*fundiare « fouiller la terre  (en parlant du sanglier) » dérivé du latin fundus « fond ; terre ».

Le sens « fouiller » est attesté à Nice et dans le dictionnaire d’Alibert s.v. fonhar « pousser, cogner, soulever, fouiller ». On le retrouve dans le Nord-est de la France et en Wallonie.

Le sens « bouder » est issu du premier par la comparaison d’un animal qui fouille la terre aux joues gonflées d’une personne qui boude. Fougner en français .régrégional (Lhubac). Il  se trouve en Normandie, Le Maine, Poitou, Franche-Comté, en provençal et en est-languedocien : par ex. Alès « faire grise mine », jusqu’en Velay et au Périgord, mais pas en gascon.

. Se fougner veut dire « s’éviter » : « Toutefois à certaines occasions… on se fougnait » (Domergue p.161). Fougna  est à l’origine de nombreux dérivés comme fougnaire « boudeur »  et de

Fougnarello « ancienne danse provençale mentionné par C.Brueys » (Mistral, mais il m’est impossible de retrouver le passage exact. Il n’est pas impossible qu’il s’agit d’un mot « fantôme », mais il me permet une petite excursion dans le moinde de la danse et de la musique1).

Ce dérivé.  de fougna « bouder ». « La Fougnarello (“Boudeuse”)  paraît se rattacher au mythe de la Mort de l’Hiver  qui ressemble à l’Angrismène des Grecs et à la Fachée française ». (Christian Mandon ‘L’origine de l’arbre de mai’ A paraître). Cette danse est exécutée en honneur de Vénus.


Coré d’Eutydichos dite « Boudeuse »,

Il y a aussi un ballet dont Stravisky a composé la musique. Dans La Fâchée les acteurs dansent  l’histoire d’une belle qui refuse les avances d’un amant.  Quand, désespéré, il tente de se suicider, elle accourt et tout finit bien. L’histoire complète de cette danse  se trouve dans le site : http://www.streetswing.com/histmain/z3angry.htm  (en anglais).

 

  1. Vu les liens étroits entre la Provence et la Grèce avant l’arrivée des Romains, il est intéressant de noter que cette danse provençale correspond à l’Angrismène  une danse  qui est toujours très populaire en Grèce et cela depuis l’Antiquité.

Plegar, plier

Plega(r) « plier » mais aussi « emballer » vient du latin plicare « plier ». Plier a gardé en français régional le sens « emballer » (Lhubac), qui était encore admis par l’Académie en 1835. Le TLF donne l’exemple suivant : « il (= Napoléon) est entré à Vilna, chassant devant lui l’Empereur, qui à peine eut le temps de plier sa vaisselle.J. DE MAISTRE, Corresp., 1812, p.169. »

En occitan nous trouvons des expressions qui n’ont jamais eu cours dans la langue d’oïl. Se plega la testo « se coiffer » (S), plüga « fermer les yeux; dormir; jouer au colin-maillard », plegá las espaulos « hausser les épaules, plier les épaules ». L’abbé fait une distinction entre hausser les épaules : « on les hausse pour marque de mépris, de pitié, d’improbation; on les plie pour marque de soumission de résignation » Le sens actuel de hausser est d’après le TLF : « Manifester son indifférence, sa résignation ou son agacement par un léger soulèvement d’épaules ».

De plugous est « à tâtons » (S), en béarnais plegá est « plier les gerbes » d’ou la pléga « récolte ». L’abbé de Sauvages cite aussi le mot plégos « les antoques  ou lunettes des chevaux qui tournent en rond pour fouler le grain ».

Le -ü- dans certaines formes comme plüga est dû à l’influence du verbe *cludicare « fermer », (dérivé de claudere « fermer ») qui a abouti en occitan clucar, clugar « fermer (les yeux) » (Thesoc).


Cascavel

Cascavel (Gard) « grelot ». L’étymon  *cascabella n’est pas attesté, mais il s’agit d’un dérivé de cascabus  « poêle,  chaudron ». Le mot vit en occitan, catalan cascavel  et espagnol cascabel  et  cascabillo. Ce dernier a donné kaskabil en basque. En galloroman le mot est limité aux domaines occitan et franco-provençal. A Nice il y a une expression amusante : avé de cascavèu en testa « être écervelé ».

Le transfert de sens de « chaudron » > « cloche, clochette » est fréquent.

Cascavéou « taureau réfractaire, qui hésite, ou refuse, de suivre la manade lors de l’acampado » en Camargue.
En néerlandais il y a un mot similaire belhamel littéralement « bélier à sonnailles » qui a suivi une évolution sémantique analogue, utilisé surtout au fig. « boutefeu ».

La révolte des Cascaveous (ou Cascavèus) désigne une révolte populaire survenue à Aix-en-Provence en 1630 sous le règne de Louis XIII, roi de France, en raison des craintes d’inflation que provoque un édit du cardinal Richelieu. (Plus dans Wikipedia)

Dans le site de World Wide Words vous trouverez l’histoire amusante de cascabel  en anglais américain modernes et en anglais britannique. Pour les premiers un cascabel est un genrie de medium hot chili, pour les seconds un élément d’un canon qui a la forme d’un grelot. Cliquez ici.


Meriam Webster : Definition of CASCABEL :

1: a projection behind the breech of a muzzle-loading cannon.

2: a small hollow perforated spherical bell enclosing a loose pellet = « grelot ».

Le cascabel, qui se trouve sur la culasse  du canon ressemble en effet à un grelot. Le deuxième sens est donc à l’origine de celui donné en premier.

 

Couzignieiros

Couzignieiros, las sé couzignieiros  « les Pleiades, un amas dans la constellation du Taureau ».

Dans la 1e édition (1756) l’abbé de Sauvages suppose que le c- inital est dû à l’influence du mot couzine qui remplacerait le mot soeur. (Les Pléiades sont les sept soeurs, filles d’Atlas dans la mythologie grecque). Dans la 2e édition de son dictionnaire il confirme la forme avec un c- en ajoutant qu’il s’agit d’un mot corrompu pour poussinieres, qui est très répandu en galloroman et en Italie. Alibert : polzinieira.  La forme couzignieiros est attestée uniquement dans le Gard. Français poussinière.

Il n’est même pas impossible que les autres dictionnaires languedociens l’ont simplement copiée. Donc si quelqu’un peut me confirmer cette forme, je serai très reconnaissant! Contactez-moi!

L’étymologie est latin pullicenus ‘jeune coq’ + aria et ce dérivé est d’abord un adjectif qui signifie ‘qui a des poussins’, ensuite comme substantif ‘poule couveuse’. La constellation des Pléiades était comparée à une poule avec ses poussins parce qu’elle est composée d’une étoile très brillante (Alkyon) entourée de six étoiles moins visibles. L’abbé remarque même qu’il n’y avait plus que cinq ‘poussins’ à son époque. Dans un site d’astronomie je trouve : ‘Objet type à observer aux jumelles, il constitue également un excellent test de vision.. La plupart des observateurs y distinguent 6 à 7 étoiles à l’œil nu (dans un ciel de qualité)…, ‘ ce qui est rare de nos jours avec la pollution lumineuse la nuit dans les villes comme à la campagne.

         

Figa

Figa, figo « figue ». Etymologie : latin ficus qui désignait aussi bien l’arbre que le fruit. Le premier sens a été conservé en italien fico et en basque bikku, le deuxième en espagnol higo, portugais figo et en basque iko. Les formes galloromanes pour nommer le fruit viennent d’un pluriel *fica comme le catalan figa.

Au figuré far la figo « se moquer de quelqu’un ».  Claude Marco, qui se qualifie « anecbotaniste », m’a fait parvenir un commentaire sur les traditions populaires en rapport avec le figuier et la figue, trop riche pour être inséré ici. Je le joins donc en format PDF.Figuier_Claude Marco

Une expression et un geste  qui remonte très loin dans l’histoire.  J.M Lombard y consacre un article  La main-figue ou mano-fica. Prélude à une célébration du figuier de la connaissance.  la dans son blog, d’où je tire cette image. LamblardGestedelafigue6a00d8341f05b853ef01b7c6e8870d970b-800wiUn bas-relief d’époque romano-berbère trouvé en Libye. 1er siècle (Photo Lamblard).

Dérivés : figon « petite figue », figueto « idem ; petite bouteille pour les essences « . Figuiera « figuier ». Provençal et languedocien figueiroun « arum tacheté ou Gouet ou Pied de veau » à cause de sa forme. La racine sèche du figeiroun est un bon cordial selon l’abbé de Sauvages. Egalement limité à ces deux régions est le dérivé figaret « variété de châtaignier hâtif, dont les châtaignes se détachent du hérisson quand elles sont mûres » Voir la page Castagno s.v. figaretto.

  

Château de Figaret   à St-Hypolite du-Fort (30)                                              Figueroun

De nombreux toponymes.   Figaret  peut faire référence aux châtaignes ou aux figues.

Prêté au français : figue, et  à l’anglais fig « le fruit ou l’arbre »; expression not care a fig for « ne pas se soucier de » mais attention!! son homonyme fig est obscène « consists of making a fist with the thumb placed between the index finger and the middle finger. » (Voir ce lien, en bas de la page). Néerlandais vijg; mais un oorvijg est une « gifle ». Allemand Feige mais Ohrfeige « gifle » (ne loupez pas cette video à la Rémi Gaillard).

La feuille de figuier a joué un rôle important dans la sculpture et la peinture. L’origine est probablement la Bible: c’est avec une feuille de figuier que  Adam et Eve couvrent leur honte et leur nudité !