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Bancel, bancal

Le bancel n’est pas bancal. Christian Lasure Ă©crit :  « Ces deux termes occitans, l’un languedocien (bancĂšl), l’autre provençal (bancal), ont le sens non seulement de « plate-bande », de « planche cultivĂ©e » mais aussi de « banquette de terre », de « gradin de culture ». La forme bancĂšl est rĂ©pandue dans les CĂ©vennes ardĂ©choises, dans la Gardonnenque (Gard), Ă  Vialas (LozĂšre). L’origine des deux termes est Ă©vidente : ils sont dĂ©rivĂ©s de l’occitan banc, « banc », dont ils conservent le sens, sans changement notable pour bancal, mais avec une idĂ©e de diminutif pour bancĂšl (« petit banc »). »

bancel, bancal, traversier

LĂ  nous avons un petit problĂšme de phonĂ©tique historique, un aspect important de l’Ă©tymologie qu’on oublie souvent.

Bancal est le rĂ©sultat rĂ©gulier en occitan, aussi bien en provençal qu’en languedocien, du mot germanique *bank trĂšs tĂŽt passĂ© en latin + le suffixe –ale > bancale. Les premiĂšres attestations en ancien occitan datent du XIIe siĂšcle oĂč bancal signifie « bande d’Ă©toffe servant Ă  couvrir un banc ». Dans l’Aveyron bancal est passĂ© de ce sens Ă  l’objet qu’il couvre : « grand banc qui sert de coffre et de siĂšge ». (Ce qui nous rappelle l’histoire du mot bureau en français de burel ‘Ă©toffe’ > ‘table couverte d’un tapis). Comme adjectif, bancal  avec le sens « qui a les jambes tournĂ©es comme celles d’un banc » existe en aveyronnais et dans les CĂ©vennes gardoises.

Bancel par contre est un autre dĂ©rivĂ© de *bank. Il s’agit du suffixe -ellu. Le[-k-] devant le -e- bref du latin devient rĂ©guliĂšrement [ -s- ] comme Ă  l’initiale : coelu > cel ‘ciel’. Des amis m’ont confirmĂ© que le mot bancel pour ‘gradin de culture’ est trĂšs rĂ©pandu en LozĂšre. Il est Ă©galement attestĂ© Ă  St-AndrĂ© de Valborgne (30).

Le mot banc a pris plusieurs sens en galloroman, dont celui d’ « ‘amoncellement de sable ou de neige; muraille qui retient la terre d’une vigne en pente » : Ă  Mende bonko ‘rocher’ et en AriĂšge banko ‘culture en terrasses’. Mistral donne le dĂ©rivĂ© bancau (qui vient de bancale) pour le provençal et bancal pour le languedocien avec les sens 1) plate bande de jardin 2) gradin d’un terrain en pente. Le FEW  prĂ©cise : le mot bancal existe en Rouergue et bankals au pluriel est la ‘culture en terrasses’ en AriĂšge.

Une question intĂ©ressante est de savoir pourquoi les Romains ont empruntĂ© aux Germains un mot comme banc qui dĂ©signe un meuble tout Ă  fait banal. En mobilier les Romains avaient des scamnum et des subsellum, mais c’Ă©taient des escabeaux pour les enfants et les esclaves. Monsieur et madame, eux, se reposaient ou mangeaient sur des lits.

Les Germains par contre qui avaient des maisons en bois, faisaient tout autour de la piĂšce Ă  vivre un bank avec un appui pour le dos contre la paroi, comme on le voit encore dans les Stube en Allemagne, Autriche, RĂ©publique tchĂšque. Les Romains ont copiĂ© la chose et le mot. Dans beaucoup de maisons allemandes le banc fait partie des meubles traditionnels,  c’est standard.


Cluga(r), cluca(r)

Cluga(r), cluca(r) « fermer les yeux » vient d’une forme du latin parlĂ© *cludicare dĂ©rivĂ© du verbe claudere « fermer ». Nous le trouvons uniquement en occitan et en catalan clucar et cluc « les yeux fermĂ©s ». Voir aussi plegar.

Ma conseillĂšre pour le catalan ajoute : clucar [son OU] : « clignoter, ciller; s’ assoupir en clignant des yeux et…dans ma jeunesse quand on disait a clucat  de quelqu’un,   cela signifiait que la personne s’ Ă©tait Ă©teinte, Ă©tait morte ! »

garapot "galipot"

Garapot « galipot,  une rĂ©sine liquide, extraite par incision du pin maritime, solidifiĂ©e Ă  l’air.  » (TLF). La garapot  est utilisĂ©e pour goudronner des bouteilles et dans la marine pour protĂ©ger de l’eau de mer certaines piĂšces des bateaux. En occitan comme en français le nom garipot est aussi transfĂ©rĂ© Ă  l’arbre

Le mot français a Ă©tĂ© empruntĂ© Ă  l’occitan guarapot « mastic rĂ©sineux » attestĂ© dans le Cantal en 1380. Le galipot est produit dans le dĂ©partement des Landes et il s’est rĂ©pandu en France et dans la pĂ©ninsule ibĂ©rique grĂące au commerce. Il est mĂȘme passĂ© en allemand. L’origine de garapot est inconnue.

Espelir

Espelir « éclore »; espelido « naissance »  Gni aghet uno bel Ă«spelido  « un nombreuse naissance lorsqu’on parle des poussins ou des vers Ă  soie  » (Sauvages).  Une visiteuse m’Ă©crit « si on met l’Ă©nergie Ă  faire des projets ils espeliront « .

L’Ă©tymon, latin expellere « pousser dehors, chasser, bannir »  est devenu  espelir  en ancien occitan avec le mĂȘme sens. Mais  dĂ©jĂ  Ă  cette Ă©poque est attestĂ© le sens  » faire Ă©clore » spĂ©cialement en parlant des oeufs .   Les attestations dans les parlers modernes viennent surtout du domaine occitan et franco-provençal.   LĂ  oĂč on faisait la sĂ©riciculture le verbe et les dĂ©rivĂ©s  s’appliquaient surtout aux vers Ă  soie.   L’espelidouiro  est le « cabinet oĂč l’on les fait Ă©clore ».

Un peu partout  espelir  prend aussi le sens  « s’ouvrir, germer » en parlant des boutons de fleurs , « poindre » (le jour) , « s’Ă©panouir ».

     

A partir du part.passĂ© d’ expellere : expulsum   a Ă©tĂ© formĂ© le verbe expulsare empruntĂ© par le français au XIVe siĂšcle :  expulser, ce qui empĂȘche certains de s’Ă©panouir….

  

Pistou, pistar

 Soupe de pistou « potage au basilic » pistou « basilic ».   Le mot pistou  est  attestĂ© pour la premiĂšre fois dans l’expression Soupe de pistou en 1931 dans le livre d’Auguste  Brun,  Le français de Marseille. Marseille, 1931. Une rĂ©-Ă©dition a paru en 2004. D’aprĂšs le TLF pistou   est du  « Basilic broyĂ© utilisĂ© notamment pour la prĂ©paration d’une soupe. », mais d’aprĂšs un article du Wikipedia c’est  une sauce « La sauce au pistou ou tout simplement pistou est une sauce Ă  base de basilic pilĂ©, d’ail, d’huile d’olive et de sel typiquement provençale.

Wikibooks avertit que le pistou  n’est pas la mĂȘme chose que le pesto  italien : « ATTENTION : CONFUSION POSSIBLE AVEC LE PESTO – NORMALEMENT LE PISTOU NE COMPORTE PAS DE PIGNONS !

Pistou  est un dĂ©rivĂ© du verbe pistare  « broyer ». devenu pestar, pistar « broyer, piler » en aoc.,  attestĂ© depuis le XIIIe siĂšcle, et en  français jusqu’au XVIIIe siĂšcle  pister  » broyer ».   Pistar  est restĂ© vivant en franco-provençal et en occitan.

Le visiteur qui  m’a demandĂ© l’Ă©tymologie, se demandait pourquoi  pistou  dĂ©signe seulement le basilic pilĂ©.  La rĂ©ponse est que les autres significations ne sont pas passĂ©es en français.  Par exemple  en provençal  castagno pistĂČ  signifie « chĂątaigne pelĂ©e »,  dans le Queyras  le  pistoun est   un « pilon; un barreau d’un balcon façonnĂ© au tour ».  C’est le succĂšs de la cuisine provençale, notamment de la soupe au pistou, qui en est la cause.

Français  piste  et  piston  sont des emprunts Ă  l’italien, qui les a crĂ©Ă©s Ă  partir du mĂȘme verbe  pistare.

 

 

Pégosité

Français pĂ©gositĂ© « FacultĂ© d’un adhĂ©sif de maintenir ensemble instantanĂ©ment deux supports. » n’est pas dans le TLF. J’ai  trouvĂ© sur le web  l’histoire suivante:

Et bien, les scientifiques qui aiment à tout expliquer par des échelles de valeurs, ont inventé le terme de « Pégosité » (voir  wikipédia.

On m’a dit, je ne sais si c’est vrai, que lorsque qu’une navette spatiale rentre dans l’atmosphĂšre, son enveloppe extĂ©rieure tend Ă  fondre sous l’effet de la chaleur
 et lorsque la navette est au garage, les scientifiques « mesurent » le coefficient de « fonte » de la carlingue


Puisqu’il fallait crĂ©er un nĂ©ologisme pour dĂ©finir ce « plus-ou-moins-collant-de-la-carlingue-aprĂšs-pĂ©nĂ©tration-dans-l’air », un ingĂ©nieur provençal, travaillant sur le site de Kourou, Ă  dit :

« chez nous on a un mot simple qui pourrait dire cette chose compliqué, on dit que ça pÚgue, on appellera ça le coefficient de pégosité »

Une histoire vraisemblable.  Pour l’origine de peg-  voir l’article  pagar, pegasse, pego, pegous

Courbe contrainte déformation mesurée au cours d'une épreuve d'adhérence.

Courbe contrainte dĂ©formation mesurĂ©e au cours d’une Ă©preuve d’adhĂ©rence. (Wikipedia)

CouzinĂĄ

CouzinĂĄ est un autre mot pour la bajana la « soupe de chĂątaignes » donnĂ© par l’abbĂ© de Sauvages.

L’Ă©tymologie est latin coquina ‘cuisine’ + -atus .

C’est un mot bien occitan et s’il est attestĂ© en ancien français, il s’agit de textes provenant de la Provence. La premiĂšre attestation vient d’un version du Roman provençal d’Esther Ă©crit par le mĂ©decin  Crescas (nom provençal d’IsraĂ«l) fils de Joseph le lĂ©vite1  Caslari  (de  Caylar ou Caslar) 2, mĂ©decin juif du XIVe siĂšcle, dont je joins un extrait.  Il s’agit d’une curiositĂ©. Le manuscrit a un texte en provençal Ă©crit Ă  l’aide de caractĂšres hĂ©breux. Il a Ă©tĂ© publiĂ© dans Romania 21(1892)p.194 ss.


La transcription est de Paul Meyer

Le mot cozinat dans le vers 102. Vous voyez qu’on aimait la bonne chĂšre : des capons et des galines.

Le sens  « soupe de chĂątaignes »  est typique pour les CĂ©vennes, ce qui montre qu’Ă  l’Ă©poque pour les CĂ©venols cuisiner Ă©tait identique Ă  « faire la soupe de chĂątaignes' » et qu’il n’y avait pas d’autre chose Ă  manger. Ailleurs le cousinat Ă©tait un mĂ©lange de lĂ©gumes ou un mets prĂ©parĂ© au feu. Alibert donne cosinada ‘contenu d’une cuisine; pot au feu; chĂątaigne ou pomme de terre cuite sous la cendre’.

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  1. C’est-Ă -dire descendant de la tribu de LĂ©vi
  2. Paul Meyer l’Ă©diteur ajoute dans une note : Le Callar, Gard  canton Vauvert, arr. de NĂźmes ou Le Caylar, l’HĂ©rault ? Cette note a suscitĂ© un commentaire intĂ©ressant!

tapets-tapas

Tapas « bouchĂ©e »(voir l’article tapar)  ou « bouchon »? Dans  la  Statistique du dĂ©partement des Bouches-du-RhĂŽne, avec atlas 1,   M. le comte de Villeneuve  Ă©crit:

       

 

Les tapets  ou  tapados   sont  des escargots tapĂ s « bouchĂ©s » ,   qu’on sert comme « bouchĂ©es ».

Voir l’article tapar.

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  1. Tome 1, Marseille 1821.  p. 788. Une description exhaustive de cette hĂ©lice se trouve dans l’EncyclopĂ©die mĂ©thodique: ou par ordre

    de matiĂšres

    , Volume 121:helix naticoides Enc.Method.

Pacholo une ‘bagatelle’?

Pacholo (pachole en français rĂ©gional, vulgaire)  signifie « sexe de la femme » d’aprĂšs Lexique de Marius Autran.  en provençal, confirmĂ© par d’autres attestations. Étymologie. Il doit s’agir d’une Ă©volution rĂ©cente, en tout cas Mistral ne le mentionne pas tout en distinguant deux pacholos  diffĂ©rents:

PacholoMistral

Le premier pacholo est un dĂ©rivĂ© de pacho  « pacte » du latin pactum « traitĂ©, contrat ». Le FEW VII,461 nous donne plusieurs significations proches de « petit marché » : Ă  Marseille « tripotage, mĂ©lange d’accords ou de pactes », pachouliĂĄ « faire des petits marchĂ©s, brocanter », un pachouliaire est un « brocanteur ».

Le second pacholo vient d’aprĂšs le FEW VIII,28 d’une onomatopĂ©e patĆĄ qui en occitan a donnĂ© pachoulha « faire un mĂ©lange hĂ©tĂ©roclite », pachĂŽlo « tripotage, mĂ©lange qu’on fait de plusieurs choses qui se voyent rarement en semble » (Sauvages S1), pachoukĂ« « chipotier, vĂ©tilleur » (idem), etc. Alibert donne une grande quantitĂ© de dĂ©rives dans son article pachaca.

Il reste la problĂšme de l’Ă©volution sĂ©mantique 1. »petit marché » ou 2. « mĂ©lange »  > « sexe de la femme ». Je penche pour le premier, le latin pactum, parce que nous trouvons une Ă©volution sĂ©mantique analogue dans le mot bagatelle. empruntĂ© Ă  l’italien bagatella au XVIe siĂšcle avec le sens « chose de peu d’importance, babiole »  >  « frivolitĂ©s fĂ©minines » >  « galanteries, amourettes » > « amour physique ».  (CNRTL bagatelle)

En occitan il y a un second exemple cf. Mistral p.538-9   chaucholo « sauce abondante, soupe au vin, gourme v. pacholo; fadaise, vétille, niaiserie, baliverne, sornette »  nous voyons un glissement de sens comparable. En français « Jeter sa gourme. Faire des folies de jeunesse.

roupe ‘vĂȘtement’

Christine Belcikowski,  suit  toujours Les chemins de Jean Dabail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la RĂ©volution française, L’Harmattan, 2014. Il y a quelques jours elle a raconté  l’horrible assassinat d’un marchand colporteur, aux Pujols. Dans les archives elle trouve des documents originaux qui tĂ©moignent de la vie de tous les jours au dĂ©but de la RĂ©publique avec des dĂ©tails tirĂ©s d’un procĂšs verbal de l’administration.  Par exemple celui-ci:

Jean_Senesse_molinier1Et de suite le dit Jean Senesse, agent municipal, nous a conduit au lieu du hameau de Fournels, oĂč Ă©tait dĂ©posĂ© un cadavre d’une taille d’environ cinq pieds, cheveux gris, nez fort, couchĂ© sur son sĂ©ant, regard le ciel, habillĂ© d’une bonne chemise, d’un gilet et pantalon de drap gris mĂ©langĂ©, d’une vieille roupe 3 vert de bouteille, des bas gris, des souliers ferrĂ©s.

Note 3: Roupe : blouse en drap grossier, fendue par devant, portĂ©e dans la DrĂŽme par les bergers transhumants ; veste large ; sorte de redingote ; issu de l »espagnol ropa « paquet, bagage, vĂȘtement » ; manteau ample ; vĂȘtement de dessus.

A la fin de la lecture je n’ai pas pu m’empĂȘcher de suivre seon indication Ă©tymologique.  En effet le mot roupe  semble venir de l’espagnol.  Le Diccionario de la lenga española  donne les dĂ©finitions suivantes :

Espagnol ropa a des  sens assez vagues: « Prenda de vestir. »   ~ blanca. «  1. f. Conjunto de prendas de tela de hilo, algodón u otras materias, usualmente sin teñir, que se emplean debajo del vestido exterior, y, por ext., las de cama y mesa.  »  ~ de cåmara, o ~ de levantar.  1. f. desus. Vestidura holgada que se usaba para levantarse de la cama y estar dentro de casa.  ~ hecha. 1. f. La que para vender se hace en diversas tallas, sin medidas de persona determinada.   ~ interior.  1. f. La de uso personal, bajo las prendas exteriores.  ~ vieja.  1. f. Guisado de la carne y otros restos que han sobrado de la olla.   etc.

Ce dictionnaire indique que l’espagnol ropa vient du gotique *raupa   un dĂ©rivĂ© du verbe  raupjan « dĂ©chirer » rupfen ou raufen  en allemand moderne.  Mais il y a un problĂšme historique. Il n’y a pas d’attestations d’avant le XVIe siĂšcle, et en plus ce sont des dĂ©rivĂ©s comme français roupille « manteau ample, guenille », roupiho « guenille » Ă  Marseille et ils sont plutĂŽt rares. Le mot roupo qui dĂ©signe toutes sortes de vĂȘtements  amples en gĂ©nĂ©ral, est fortement attestĂ© dans tout le domaine occitan et franco-provençal.  En plus la premiĂšre attestation vient du gascon, dans le texte de GĂ©rard Bedout, Lou parterre gascoun coupouzat de quouate carreus. de 1642.  Pourtant l’extension gĂ©ographique de roupa, jusqu’Ă  la Suisse romande reste Ă  expliquer.  Voir  FEW XVI, 680