Panisso. Dans tous les sites que j’ai consultés j’ai trouvé la définition suivante: « la Panisse est une spécialité marseillaise à base de farine de pois chiche. » Le pois chiche (Cicer arietinum) est une plante de la famille des Fabacées (ou légumineuses)(Wikipedia). Le pois chiche est cultivé dans les régions méditerranéennes; il est donc normal qu’on trouve des préparations à base de farine de pois chiches tout autour de la Méditerranée. A Nice la socca (étymologie inconnue; recette ici) est favori, en Ligurie la socca, en Sicile la panella (la recette ici) , à Gênes la fainâ de çeixai, etc. (Socca)
cicer arietinum
La panisse marseillaise est très bonne mais la récupération de cette spécialité par les Marseillais est un peu abusive. Mistral nous renseigne :
panisso « espèce de farine de pois chiches et de maïs dont les Génois pauvres se régalent, voir cruchado, poulènto; lâche, personne molle, à Nice. » Il donne l’exemple : A Marsilho vèndon de panisso, qu’il traduit : à Marseille on vend de la panisso.
Il s’agit donc d’une recette et d’un mot importés de Gênes. Mistral cite le mot italien paniccia dans la forme et le sens spécifique de la Ligurie: Panissa « Polenta di farina di ceci. » (Source). D’ailleurs dans un site italien je lis : La panissa è uno dei piatti più tipici della tradizione genovese.
Casaccia Giovanni dans le Dizionario genovese italiano, Genova 1876, distingue deux prononciations différentes, et le premier comme subst. féminin, le second comme masculin. Les deux ont été réunis dans un seul panisso par Mistral (ci-dessus):
Plusieurs réactions m’ont amené à regarder de plus près cette histoire. Voici le résultat: En ce qui concerne l’étymologie de panisso, c’est une homonymie qui m’a incité à en parler. Le latin panicium « millet » a donné en ancien occitan panitz, panis, en occitan moderne panis toujours avec le sens « setaria italica, sorte de millet ». En provençal a été formé un dérivé féminin panisso « sorte de millet », panissa à Nice, panisso dans la Vaucluse, (Mistral), à Marseille (Avril), et à Aix (Pellas), toujours avec le sens »millet » comme panissa en piémontais. Voir l’article panis
La première attestation de la panisse typique de Marseille est de 1839 dans le dictionnaire d’Avril, qui la définit ainsi :
« gateau de farine de maïs ou de pois chiches que font les Gênois résidant à Marseille et qu’ils vendent sur le cours ».
Il me semble que les Gênois ont vendu leur panissa avec une prononciation gênoise : panissa, devenue panisse en français régional.
Italien paniccia est defini comme : » farinata s. f., in alcune regioni italiane, minestra a base di farina di grano o di granturco; in Liguria, focaccia a base di farina di ceci. » D’après le FEW cette panisse marseillaise et les mots du Nord de l’Italie qui désignent une minestra ou une boullie à base de farine de pois, de maïs , etc. seraient des dérivés de panis « pain ». D’autre part la panisse « bouillie à base de millet » viendrait du latin panicium , de la panisse « bouillie à base de pois chiches » . Je ne crois pas qu’on puisse les séparer.
Italien: paniccia s. f. 1 (tosc.) farinata | (estens.) poltiglia; fare paniccia di qualcuno, di qualcosa, (fig.) massacrare di botte qualcuno.
Toponymie.Le nom de lieu Panissière « champ semé de panis » doit être assez fréquent, en tout cas il y en quatre dans le Gard, dont un à Manduel :
Panoucho « chiffon; niaise; femme de mauvaise vie », continue probablement un dérivé de pannus « morceau de tissu »: *pannucio qui vit en italien pannucio « mauvais tissu ». En galloroman c’est le féminin *pannucia qui est à la base des formes.
La première attestation est relativement tardive : 1411 d’après le DMF, mais je pense que cela est dû au fait que de nombreux documents occitans ne sont pas encore publiés. En plus les mots pour « torchon » ne doivent pas être très fréquents dans les textes écrits du Moyen Age. La plupart des attestations viennent des parlers de l’Est du domaine domaine d’oïl, du franco-provençal et du provençal.
Voir l’article panar « essuyer » également limité à lEst du galloroman.
Sanguio « seau, vase pour traire » est un mot plutôt gascon, qui se retrouve dans les parlers aragonais et en basque šantša « petit vase pour traire ». L’origine remonte à la nuit des temps. C’est G. Rohlfs qui a proposé une racine pré-indo-européenne *sandika.1
Mistral mentionne les deux formes sanguio pour les Pyrénées et sancho pour le Bearn.
En franco-provençal la sanguio est appelé seille. Cette photo vient de la base de données lexicographiques panfrançophone Une découverte importante pour moi. Allez y faire un tour et regarder les résultats pour le mot seille.
La Base de données lexicographiques panfrancophone (BDLP) est un projet d’envergure internationale qui s’inscrit dans l’entreprise du Trésor des vocabulaires français, lancée par le professeur Bernard Quemada dans les années 1980. La BDLP est actuellement en voie de réalisation pour les pays et régions figurant ci-dessus, mais d’autres équipes se préparent à s’y associer. L’objectif est de constituer et de regrouper des bases représentatives du français de chacun des pays et de chacune des régions de la francophonie.
Anglada s.f. »angle, crête; contenu d’un angle, coin de terre ». Dérivé avec le suffixe -ata du latin angulus « angle, coin ». Ce suffixe ajoute très souvent la notion de « contenu » à la racine. Attesté dans le Compoix de Valleraugue anglade, englade. Gilles Fournier, l’auteur du lexique, donne plus informations et il conclut : une anglade est sans doute « un coin de terre rocheux et inculte »
Il faudra visiter le village pour savoir quel sens s’applique ici.
Cade « genevrier, juniperus oxycedrus ». Dans l’Aveyron, l’Ardèche et la Haute Loire (et ailleurs?) on trouve aussi la forme cadre.
cade ou cadre et cadenelo
Le fruit s’appelle cadenelo > français cadenelle (empruntée depuis 1815). L’huile de cade était principalement produit dans le Midi et en Hongrie. C’est à Claret, en plein coeur du vignoble du Pic Saint-Loup que fonctionne encore la dernière usine fabricant l’huile de cade. Dans son site j’ai trouvé:
« Le cade: le genevrier de nos garrigues méditerranéennes.
L’huile: il s’agit d’un « goudron » extrait du bois de cette plante par pyrolisation. C’est un liquide sombre, à l’odeur âcre, riche en molécules aromatiques, et aux vertus connues depuis la nuit des temps (ou presque). Cette « huile » jadis utilisée par les bergers pour ses vertus cicatrisantes, trouve aujourd’hui ses débouchés au sein des laboratoires pharmaceutiques qui l’introduisent, en quantités infimes dans des shampooings, pommades, savons, etc.
Dans le département du Tarn-et-Garonne, une sorte d’ aigarden s’appelle la cadenelà le « genièvre » local. Je ne sais si ce boisson est produit de la même manière que le jenever néerlandais ou le gin anglais. Par conséquent la traduction est peut-être mauvaise.
Etymologie: Il semble que le mot cade est autochtone dans l’est du domaine occitan où nous le trouvons aussi comme nom de lieu : Cadenet (Vaucluse), Cadenet-Perriers, lieu-dit à Sernhac (Gard), Cadenet lieux dits à Lussan, Le Cailar, Castries etc. (Cf. le site de l’IGN), dont l’origine Catanetum est bien attestée. Pour le Gard (M.E.Germer-Durand) il y a plusieurs toponymes:
Le mot catanus « cade » n’est attesté qu’une seule fois dans un glossaire du VIIe siècle et la première attestation en occitan date du XIIIe s. (Deudes de Prades, cf. le TLF). Il pourrait être d’origine celtique mais jusqu’ici on ne l’a retrouvé dans aucune langue celte, de sorte qu’une origine pré-celtique est probable.
L’espagnol cada et le catalan cadec ont été empruntés à l’occitan. Le mot cade a été introduit tel quel en français au début du XVIe siècle.
Escaoumer « brûler » Lhubac1 vient du grec καυμα (cauma) « chaleur du soleil ». FEW II,538b
Le premier sens attesté en occitan de cauma, caumo est « grande chaleur » . Le dérivé caumasso devient » chaleur étouffante »,le verbe escauma « échauder » et escaumarrado « chaleur accablante ».
Pendant la grosse chaleur on ne peut pas faire grand chose, même pas manger : chaoumar à Barcelonnette « cesser de brouter et se reposer à l’ombre (en parlant des moutons) », coumà dans l’Aveyron, devenu chomer « se reposer » en ancien français, et les jaloux qui ne peuvent pas faire la sieste appellent ceux qui la font chomeur « homme paresseux ». Chomer perd ce sens péjoratif et devient « ne pas travailler faute d’ouvrage », mais ce sens est relativement récent, début du XVIIe siècle. Avant cette époque on ne chomait que pendant les jours de fête, féries ». Les deux sens co-existent en français moderne.
D’après le FEW cauma est devenu calma en italien et a pris le sens spécifique de « cessation complète de vent » comme terme de marine, emprunté au XVe siècle. Depuis le XVIIe siècle calme est utilisé au figuré avec le sens « absence de passion », etc.
Marélar v. 1) « distribuer le brin de soie sur l’écheveau de la roue à ce qu’il y fasse des losanges »(Alès). 2)« tromper au jeu ».
La marélo est « le petit caillou » dans le jeu de la marelle. L’ évolution sémantique de marelar « jouer » à « tromper au jeu » se comprend facilement, non?.
Dans le jeu de marelles on fait des carreaux. C’est à partir de cela qu’on disait déjà au XVIIIe siècle à Alès se marrela « se diviser en losanges », maréla « vitrer » cf. auvergnat marrelatge « vitrage en losanges » et marelar « diviser en losanges » Alibert. Ensuite le mot s’est spécialisé dans le milieu de la sériciculture, de là le sens 1).
Quand ce travail est mal fait marela prend le sens de « rayé, bigarré »
Au Moyen Âge le mot mereau désigne en français un « jeton » ensuite, au XVIIe s. le « jeu de la marelle ».
Marélaire « fripon, trompeur ». Dérivé de maréla « tromper au jeu ».
Dérivé d’une racine marr- « caillou, roche » d’origine préromane, obscure. En provençal existe marro « tuf » ou « auge dans laquelle tourne la meule d’un moulin à huile » , et marrado « le contenu de cette auge ». Cf. l’article marron.
Soga s.f. « corde pour fixer la charge d’un mulet ». Souvenirs, souvenirs! Ce mot me rappelle l’époque où, jeune chercheur, je travaillais au Trésor des patois valdôtains sous la direction du prof. H.E. Keller, qui quelques années plus tard est parti pour les Etats-Unis où il n’y avait pas de money pour les dialectologie. Ensuite ce grand projet est tombé à l’eau et moi je suis parti pour les Cévennes.
En 1972 j’ai publié un petit article dans Le Flambeau. Revue du comité des traditions valdotaines sur le mot souye qui en Vallée d’Aoste signifie
la corde le repas
la traite
Qu’est-ce que cela à voir avec l’occitan soga « corde »? La réponse est : l’étymologie! Dans presque toutes les langues romanes nous trouvons des mots qui doivent remonter à un étymon *soca « corde », probablement d’origine celtique, p.ex. en ancien occitan soga, au Val d’Aran soya, en ancien français soue. En Vallée d’Aoste souha « corde pour serrer le chargement d’une voiture « ! Italien, catalan, espagnol, portugais soga ‘corde’, breton sûg, basque soka.
Dans les Alpes (Vaud, Valais, Savoie,Vallée d’Aoste) où il n’y a pas de haies et encore moins de barbelés ou de fils électrifiés, les bergers prennent une corde pour délimiter le bout d’alpe que les vaches peuvent brouter. Cette étendue est donc le repas des vaches. Par généralisation « repas des vaches » > « repas ».
Il y a un rapport étroit entre la quantité d’herbe ou de foin qu’une vache mange et la quantité de lait qu’elle donne. Un paysan donne une portion plus grande à une bonne laitière. L’évolution sémantique « repas » > « traite » s’explique par le rapport cause > effet. Le passage d’un sens concret comme « corde » à « unité de mesure » se trouve également dans les représentants du latin chorda ou en occitan cana « canne roseau ».
Le FEW rattache le mot souye « repas d’une vache; traite » à une autre étymon gallois *souka « sucer » mais je crois que c’est une erreur.