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Dauphinois, arpitan ou franco-provençal ?

Arpitan_francoprovencal_carte_patois

L‘arpitan ou franco-provençal est le nom de l’ensemble des parlers qui se distinguent de la langue d’oc et de la langue d’oïl par une évolution phonétique  spéciale, en particulier celle du a accentué en latin parlé qui s’est maintenu comme par exemple dans l’infinitif des verbes en –are, cantare > chantar, excepté après une  palatale (c, g, y, etc.) par exemple manducare > mangé, mangi. plicare > pleyi (plier).

C’est en 1873 que le linguiste italien Graziadio-Isaïa Ascoli (1829 –1907) a identifié cette langue ou groupe de parlers  et rédigé l’acte de naissance du franco-provençal, en se fondant sur cette double parenté chantar/mange(r)  comparé au provençal cantar/mangar, et au français chanter/manger.

Avant Ascoli les linguistes considéraient les parlers franco-provençaux  comme des parlers de transition entre le domaine d’oc et le domaine d’oïl.

Mes recherches étymologiques m’ont permis de constater que la spécificité de ces parlers avait été bien identifiée déjà au XVIe siècle, non pas par un linguiste mais par un botaniste provençal  Solerius .1 qui est un des premiers à donner les noms des plantes en langues vulgaires. Pour la France et regions limitrophes il distingue la langue des Gaulois (la langue d’oïl), le Dauphinois (le franco-provençal) et notre langue (le provençal).  Voici quelques extraits:

Vitex-agnuscastus-Solerius(Vitex le poivre des moines ou gatillier) appelé pébrier par les Dauphinois, les nôtres et les Aquitains.

Il faut noter qu’il ne distingue pas les Provençaux des Languedociens, mais le gascon est bien différend. Dans un autre paragraphe il distingue aussi le provençal du  niçois., ce qui veut dire qu’il était un bon connaisseur des variantes des parlers galloromans et italiens d’ailleurs.

Solerius_Tribulus » la chauchetrappe des Gaulois,    notre caucotreppo , ou auruolo

menta_Solerius« la menthe sylvestre qui s’appelle mentastrum chez les Latins, chez nous mentastre,  chez les Italiens menta salvatica.

portulacaSoleriusIci Solerius distingue les Grecs, les Latins, les Gaulois, les Dauphinois, les Provençaux, les Tusques (=Toscans) le les autres peuples italiens.

Amaranthe_Solerius_p29que le peuple Gaulois, Dauphinois & le notre  appelle passe veloux

L’alkekengi ou amour en cage:

alkekengi_SoleriusReduitDans les officines on l’appelle alkekengi2 : chez les Gaulois baguenauldes  et cocrette: chez les Dauphinois bonne bue et chez nous bons hommes

Le nom Dauphinois signifie aussi « franco-provençal » pour Cotgrave dans son dictionnaire de  1611. En tout cas il cite le mot franco-provençal larmuse « lézard »  comme tel.

larmuse-Cotgrave

Pour plus d’informations sur le franco-provençal visitez la page francoprovençal avec des  articles de P. Gardette chez Lexilogos et la page de l’université canadienne rédigée par Manuel Meune

  1. Solerius (Hugo), sanionensis, Scholiae… à la suite de Aetii medici tetrabiblos... édité par Cornarius, Lugduni, 1549, in-fol. D’après Ludovic Legré, La botanique en Provence au XVIe siècle. Pierre Pena et Mattias de Lobel. Marseille, 1899, p.72 n.2, Solerius vient du village de Saignon dans le Lubéron. Solerius cite dans son livre les monticules appelées « Les trois frères » près de Pertuis, ce qui prouve qu’il connaissait bien la région. Le titre complet avec un lien : Solerius (Hugo), sanionensis, Scholiae = Aetii medici graeci contractae ex veteribus medicinae tetrabiblos… per Ianum Cornarium Medicum Physicum Latinè conscripti. Lugduni 1549. Hugonis Solerii medici in II Priores aetii libros. Scholia en ligne sur Hathi Trust.
  2.   De l’arabe  » al kākanğ » coqueret. Attesté en ancien français depuis 2e moitié XIVe s. (R. Arveiller, Z. rom. Philol. 97, 1981, 279). CNRTL , FEW XIX,80a 

Debanar

Debanar, dabanar « dévider le fil; mettre en peloton; bavarder; dégringoler (cabana Hérault, d’après M); bâcler, dépêcher, mourir (Alibert). Provençal et languedocien.

Etymologie : *depanare composé de de + panus  « fil de trame enroulé sur le dévidoir ». Dérivé : debanaire « dévidoir »; débanaduro « fil, soie dévidé ». Ce groupe de mots se retrouve en italien dipanare, catalan et espagnol devanar. La forme donnée par Mistal pour l’Hérault s’explique par un changement du préfixe. FEW III,44b.

deco, fr. dèche

Deco, deca « défaut , vice, tare détérioration; brèche à un instrument tranchant » (d’après Alibert, qui donne aussi la forme dec s.m. et le verbe decar « ébrecher »). L’étymologie est le latin médiéval decadere un réfection1 du latin classique decidere « tomber de »par exemple d’un cheval, d’un arbre; déchoir ».

Les attestations du FEW viennent des parlers occitans et franco-provençaux, et aussi de l’Anjou.  En limousin decho signifie « blessure » et  dech « défaut ».  Le mot dialectal a été adopté par le milieu, en argot deche est attesté avec le sens « déficit » depuis 1837 et ensuite depuis 1849 avec le sens restreint « misère, pauvreté, gêne ».  Le mot a dû plaire aux Parisiens, puisque rapidement il entre dans les dictionnaires et se répand dans toute la France tomber en dèche « n’avoir plus d’argent ». Pierre Larousse signale en 1870 l’adjectif décheux « qui est dans la misère.

FEW II, 29 cadere

decat

decat

Photo du blog troncat-créations.

  1. En lat.cl. existait déjà decadivus à côté de decidivus « qui doit tomber. Gafiot

Degra

Degrà « échelon; degré » (Alibert), mais dans le Compoix de Valleraugue, degré signifie « escalier droit » en opposition à lavisette ou vizette qui est un escalier tournant. Dans le site Panoccitan « escalier » est traduit en occitan par escalièr; on dirait un emprunt au français. Eh bien, c’est le contraire! Français escalier qui remplace l’ancien français degré, est attesté depuis 1531 seulement; mais en occitan depuis 1188 (scalerium dans une charte latine de Montpellier) et vient d’un du latin tardif scalarium« escalier », attesté dans des inscriptions.

Ducange

Revenons à notre mouton, degré, degrà en occitan qui est un dérivé du latin gradus qui signifie en latin classique « pas; marche », dérivé du verbe gradior « marcher ». Dans son sens le plus concret gradus a été remplacé par passus dans les langues romanes. Par contre le sens « dégrés d’un temple; d’une église, devant un édifice public » a été conservé en ancien occitan: gra(s) et en occitan moderne graso « degré en pierre, large dalle » (Mistral). Les Romains utilisaient le mot scala pour désigner un « escalier ». Quand à la suite de l’évolution de la construction on sentait le besoin de distinguer le grand escalier en pierre ou en bois de la simple échelle (< scala ), les Français du Centre et de l’Ouest ont choisi le mot degré « marche d’escalier, escalier », tandis que dans l’Est, de la Wallonie jusqu’en franco-provençal nous trouvons gre(s) ou, à partir du pluriel les grés, la forme l’esgré. Le double sens de ces mots prêtait pourtant à confusion. Pour cela on a préféré distinguer la marche de la montée.

Ceci devrait intéresser les architectes parmi mes lecteurs! Le mot escalier a été introduit pendant la première moitié du XVIe siècle. L’architecte Sebastiano Serlio, qui est largement inspiré par Vitruve, un architecte romain qui vécut au Ier siècle av. J.-C, publie I Sette libri dell’architettura de 1537 à 1551; Il est appelé à la cour de France par François Ier, pour la construction du chateau de Fontainebleau. La traduction du Ier livre d’Architecture de Serlio par Jehan Martin apparaît en 1545. (Vous pouvez le consulter sur le web grâce à l’université de Tours, voir aussi Wikipedia).


Je n’ai pas retrouvé le passage mais il semble qu’il utilise le mot escalier pour désigner une grande montée.
D’après le TLF le mot escalier, emprunté à l’occitan où il est toujours bien vivant, apparaît déja en 1531 dans les Comptes des bâtiments du roy pour désigner les escaliers en pierre caractéristiques de la Renaissance et il remplace les mots degré et montée.

Degré dans le Compoix de Valleraugue est donc un gallicisme. Depuis l’introduction de l’escalier, degré prend le sens de « petit escalier derrière la maison », ou comme à Valleraugue « escalier extérieur droit ».  Un degré est moins prestigieux qu’une vis, comme une femme de ménage est moins prestigieuse qu’une technicienne de surface.

Degun

Degun, negun « aucun, personne ». Pour dire « non » ou « ne…pas » les Romains utlisaient le mot non avec un –o- long. Par exemple: bella est? Non! « Est-elle belle? Non!. » Mais aussi dans des phrases comme Non bella est « Elle n’est pas belle. » Dans la vie de tous les jours, ils renforçaient ce non en ajoutant des petits mots, comme vero, minime, mica. etc., ou ils disaient Nec non avec l’accent sur nec. Pour plus d’exemples d’emploi voir Gaffiot en ligne.

Dans une grande partie de la Romania ce nec, neque combiné avec unus « un » a été utilisé comme pronom ou adjectif indéfini négatif : « personne; aucun ». Nous le trouvons en ancien français negun « aucun, personne », catalan negú, degú, dengú, negú, espagnol ninguno et en occitan negun, degun, dengun, etc. En occitan la forme a subi une dissimilation des deux n- et –n : negun > degun. (Ronjat 2, p.376). Ancien français negun « personne » a assez tôt disparu de la langue; il n’y a pas d’attestation dans le DMF. Pourtant nous le retrouvons au sud de la Loire, en Franche-Comté et en Bourgogne. La normand l’a connu aussi et le prêté au breton nikun.

Degun connaît une nouvelle période de gloire dans l’argot parisien et le langage des ados. Une étude sur L’argot dans les chansons de Renaud Séchan donne une liste de mots d’argot utilisés par Renaud d’origine provençale, dont dégun.

L’emploi constant de degun, negun avec un autre mot négatif comme ne, sans a affaibli son sens négatif à tel point que degun l’a carrément perdu dans certains contextes. Par exemple dans un texte de 1366 de Fribourg (Suisse) se nyon porte pesson purrix au marchié ..  » si quelqu’un porte du poisson pourri au marché… ».Un autre exemple se trouve chez Arnaut Vidal de Castelnaudary (1318) qui est l’auteur de Guillaume de la Barre, un roman d’aventures en occitan. Dans sa critique d’une édition par Paul Meyer , A propos du vers Per trabalhar a negun for traduit par « en aucune façon ». C.Chabanau écrit dans son compte-rendu : Je crois que c’est le contraire qu’il faut entendre. On sait que negun n’a pas toujours et nécessairement le sens négatif  » (RLR 40(1897)p.582). Cet emploi de degun, negun avec un sens positif est donc très ancien aussi bien en franco-provençal qu’en occitan. Mais de là à en faire toute une famille de mots comme le fait le dictionnaire Panoccitan me semble une erreur. Aucun des mots suivants n’existe évidemment en dehors de ce dictionnaire et des textes éventuels des pauvres néophytes qui s’y laisseraient prendre : «degun nom m. personne nom f. […] degunal, degunala adj. personnel degunalament adv. individuellement degunalejar verbe / verbe pr. personnaliser degunaletat nom f. personnalité degunament adv. aucunement degunatge nom m.».

(Citation de Jean-Pierre Cavaillé avec qui je suis parfaitement d’accord).

Un visiteur catalan me donne le complément d’information suivant:

je tiens à préciser que en catalan ANCIEN : negú, degú, dengú, negú.
En standard c’;est NINGÚ (et dialectalement negú/nigú/negun, nengú/ningun/nengun, dengú/dengun/DINGÚ(S)(avec S roussillonnais, entre autres)

Deigououbiar

deigououbiar  » se dégourdir, se débrouiller » voir gaubi

Dejuna

Dejuna « prendre le repas du matin ».  Voir l’article  sopar

L’abbé de Sauvages orthographie dejhuna et il ajoute : signifie dans quelques endroits du haut Languedoc « jeûner » comme en italien digiunare. J’ajoute comme le catalan dejù, dejuna « à jeun » et le verbe dejunar « jeûner ». Dans la deuxième édition il ajoute le mot dejhu « à jeun » et deux formes qu’il qualifie de « vieux languedocien » deiuns « à jeun » et deiunar « jeûner ».

Le FEW explique la forme dejhuna du latin jejunare par une évolution phonétique spéciale : la dissimulation où le premier j- est devenu d-. Le maintien de ce mot dans le haut Languedoc s’explique par l’éloignement de cette région de l’influence de la langue nationale.

Deneiròla

Deneiròla « tirelire » est dérivé du latin classique denarius « denier » une pièce en argent des Romains qui valait 10 as. Wikipedia : Le denarius est aussi la monnaie à l’origine du dinar, encore utilisé aujourd’hui en Serbie depuis 1920 et dans de nombreux pays du Maghreb et du Moyen-Orient.

denarius
denarius

déniar, denizar

déniar, denizar « dénicher, abandonner son nid » voir fourniar

Desbrando

Desbrando se v.r. « se regimbe »  cf.brandado