Prat du Raïs à Coursan (Aude) et Prat du Rais à Cuxac. Déversoir du Prat del Raïs et vers le nord-ouest le Chemin de Prat de Rais, 11590, à Cuxac-d’Aude.
A première vue, j’avais l’impression que le Raïs, Gamal Abdel Nasser, avait acheté dans les années ’60 un petit refuge pour se retirer à la campagne audoise, en cas de problème.
Heureusement j’ai pu consulter le Dictionnaire Topographique du département de l’Aude par l’abbé Sabarthes, Paris 1912, qui me donne les noms anciens. Ce n’est pas le Raïs mais un ou plusieurs Juifs qui étaient propriétaires du pré, nommé en latin pratum judaicum.
L’histoire des Juifs en Languedoc nous explique l’histoire du nom du pratum judaicum.
Le XIIe siècle est une période de prospérité pour le judaïsme provençal et languedocien qui profite de l’esprit de tolérance qui règne alors dans les cours de Toulouse et de Béziers. Armand Lunel peut écrire : « Sous le ciel des troubadours et par la douceur native des tempéraments, l’âpreté des rapports entre l’Église et la Synagogue put peu à peu se réduire et le poids de la réprobation théologique s’alléger jusqu’à rendre pacifique la cohabitation des chrétiens et des juifs. »
Benjamin de Tudèle, le rabbin voyageur du XIIe siècle, cite certaines communautés du midi, évoque leurs nombreuses écoles talmudiques et leurs maîtres de l’époque. Les Juifs peuvent s’adonner à l’agriculture comme au commerce. Une des plus importantes communautés juives est alors celle de Narbonne, forte de trois cents personnes et où les Juifs disposent d’un hôpital.
Après la mort de Raymond VII en 1249 ses terres passent sous la possession d’Alphonse de Poitiers, frère de Saint Louis et mari de l’héritière de Ryimond VII. Dès lors, les Juifs sous sa domination souffrent d’un arbitraire semblable à celui qui règne à leur égard dans le royaume de Saint Louis. Alphonse de Poitiers ne manque pas de les pressurer : taxes pour dispense de rouelle ; fonds pour la croisade en 1248 puis nombreuses extorsions de fonds avec menaces d’expulsion et imposition forcée qui lui rapporte autant que celle sur les chrétiens pour la Huitième croisade. Les Juifs émigrent alors vers la Provence, sous la domination de la maison d’Anjou. (Wikipedia)
Deux siècles plus tard on écrit en languedocien Prat Jusayc, mais les Narbonnais ne connaissait plus le sens du nom Jusayc. Les Juifs étaient partis en Provence. Quelques années plus tard ils l’écrivent Jurayc, ou avec un –t final Jurait. Ensuite le -t final de prat « pré »a fondu avec le j- initial (prononcé dzj-) de Juraic pour devenir PratDuraic. Au XVe siècle déjà on hésitait sur la consonne finale: -t ou –c ? La finale ne se prononçait plus, peut-être sous l’influence du français, obligatoire dans les documents administratifs depuis l’ordonnance de Villers-Cotterets (1539). Ainsi le Prat Juraic devient le Prat Durais.
Le nom Durais n’avait pas de sens non plus, alors pourquoi pas du Raix avec un -x comme dans Cuxcac. Au XVIIIe siècle on simplifie dans les archives communales et écrit du Ray, mais l’ancienne graphie Prat du Rais reste dans le cadastre napoléonien, probablement copié du compoix.
Ce nom est resté à Cuxac d’Aude, mais à Coursan on a voulu continuer et donner un sens au nom Rais en y mettant un tréma Raïs « le chef » en arabe, peut-être en souvenir des l’invasion du Languedoc par les Sarrasins.
Dans les Annales du Midi de 1896, p.195-199, Alphonse Blanchet a écrit un article intitulé « Les transformations du latin judaicus à Narbonne. »
Un visiteur m’écrit:
Bonjour,
Je me suis permis de signaler votre article relatif au Prat du raïs ou du Rais qui intéresse le département de l’Aude dans le site de la Société d’Etudes Scientifiques de l’Aude (www.sesa-aude.com et http://www.sesa-aude.fr/spip.php?article656).
J’ai aussi apprécié l’article Mayrial, Marinade et Bellemère (propriété Mayrevieille à Carcassonne dont le propriétaire, Jean-Pierre Cros, a demandé l’adjonction à son nom faisant Cros-Mayrevieille, connu localement car « sauveteur » de la Cité de Carcassonne).
Bravo pour votre travail.