Marrano, « maladie (du charbon?) des ovins ».
Dans le Cartulaire de Mirepoix, que j’ai découvert grâce à la dormeuse, il y a une Charte de la boucherie de 1303, dans laquelle est écrit: « Videlicet quod nullus carnificum ville predicte audeat vendre in dicto macello publico oves marranos.« : Il va de soi que nul boucher de la ville susdite n’osera vendre sur les dits étals publics des brebis marranes (atteintes du charbon?). L’éditeur de la charte traduit marranos par « languissants, étiolés » d’après le sens du mot donné par Mistral.
Cliquez sur le texte de Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, tome II, p.p. 42-46, Editions Privat, Toulouse, 1921.
Cette découverte dans un texte de 1303 a chamboulé la conception qu’on avait de l’histoire des mots rattachés à l’étymon arabe mahram « sacré, inaccessible » Il est devenu impossible de rattacher marrane « maladie » à marrane « Juif converti » comme l’a fait le FEW en l’expliquant comme un transfert du mot marrane sur une longue maladie. Au moment de la rédaction de l’article mahram, la première attestation de marrane avec le sens « maladie épidémique » datait de 1650, et marrane « Juif converti » du XIIIe siècle.
Marrana « maladie chronique ». De Nice jusqu’en Béarn: marrana a pris le sens d’une maladie chronique : à Alès « espèce de phtisie des brebis; dépérissement des muriers », à Béziers, encore plus général marrano « épidémie », St-André « typhus », et languedocien marano s.f. « mite de fromage: le plus petit des insectes qui sont sensibles à la vue simple. On tue les mites du fromage avec de l’huile »(Sauvages1756). S’agit-il d’une « maladie » du fromage?. Alibert donne une autre forme avec un seul –r-: marane « maladie des bêtes à laine; marasme; épidémie; épizotie; clavelée; jaunisse des plantes; mite du fromage (copié de Sauvages ?). L’attestation donnée par le FEW pour le français marrane « maladie de langueur » dans Borel 1655 (p.514) a certainement un rapport avec le languedocien, dont il était un bon connaisseur, étant né à Castres.
Un visiteur me signale: « Dans l’Hérault, autour de Pézénas, Roujan, Neffiès, etc. le mot marrane, peut désigner le « mildiou de la vigne ». J’ai relevé l’expression « ai la marrana » qui peut se traduire, selon les circonstances par : « je couve la grippe », « je ne me sens pas d’attaque », ou encore « j’ai le cafard ».
Mai 2018 je reçois une nouvelle attestation de marrano « maladie de la vigne »de lAude:
En cherchant « miquelet », je lis l’entrée « marrano », ce qui me transporte vers cette remarque de mon père concernant une chanson sur les maladies de la vigne : « « La cochylis és uno bèstio, un parpalhol, és uno garço que nous escano, chuco broutinhos, chuco rasins, chuco sulfato, chuco ço bou, e chuco tut, mè chuco pas la marrano, que nous esca-a-no ! ». (marrano peut-être dans le sens d’épidémie comme à Béziers… mais l’Aude, contrairement au Rhône n’a-t-il pas été une frontière linguistique intra-languedocienne ?
Pour le moment il convient de classer marranos « maladie des ovins » et toutes les variantes sémantiques, dans les volumes des Mots d’Origine Inconnue. Il faudrait avoir plus de renseignements sur le sens exact de marranus. De quelle maladie s’agit-il et quels sont ses symptomes? S’il s’agit à l’origine de la « maladie du charbon » (une maladie ovine très répandue en Languedoc) on pourrait penser à maurus « noir », puisque « L’infection cutanée [du charbon] est caractérisée par l’apparition de bosses prurigineuses semblables à des morsures d’insecte, suivie d’une ulcération et de la formation d’une escarre noire indolore. » (Source).
Une dernière étymologie, que je viens de trouver est le grec μαραινω qui pourrait convenir du point de vue phonétique et surtout sémantique:
Adiu,
Je me permets de vous envoyer ce texte réalisé en partie grâce à votre article.
Coralament,
Dominique Aussenac
De la marrane comme spleen d’oc.
(Texte (déjà ancien, paru dans Canta, canta, neneton, chansonnier totémique languedocien) réécrit grâce au Dictionnaire étymologique de la Langue d’oc, étymologie-occitane.fr et Wikipédia.)
Si le spleen, le blues, le fado, le, la saudade ; étiolements des âmes autant que chants profonds, sont parvenus aux cœurs et aux oreilles du monde, certains sont encore ignorés, ainsi la marrane, affect, propre à la côte languedocienne. En occitan, marrane signifie consomption, langueur, marasme, dépérissement, jaunisse des plantes, autant que maladie du charbon des animaux laineux. D’où vient ce mot ? Il parait hardi, même sous caution, et malgré ce, toutefois séduisant, de le rapprocher du terme arabe muharram ou mahram ; sacré, consacré, inaccessible, rituellement interdit. Qui en bref invective celui qui mange du porc et le traite d’animal du même nom ! Insultant, il qualifiera par la suite un maure ou un juif convertis bon gré, mal gré au catholicisme. Morisque pour les musulmans, marrane pour les juifs ou encore en occitan, individu grognon, bourru, inquiet, mauvais, dur à la tâche. Marranar, verbe dérivé reprend cette dernière interprétation : travailler avec vigueur, mais aussi avec peine. Dans ce champ lexical très étendu, l’occitan marran : maure converti au catholicisme embrasse l’espagnol marrano : nom donné aux juifs de la péninsule ou des colonies ibériques convertis au catholicisme et qui continuèrent à pratiquer en secret leur religion. Est-ce un hasard ou une erreur étymologique ? Le vieux français utilise l’expression se marrir pour évoquer l’ennui, l’affliction. Le verbe marrir remonterait au francique marrjan : fâcher. Il est amusant de constater que ce terme a donné naissance à l’expression en avoir marre et le verbe se marrer. Par antiphrase, se tordre de rire.
Toutefois en Languedoc, la marrane au féminin, qualifie un état de langueur de l’âme, souvent provoqué par les souffles du vent de la mer. Le marin ou encore le marinas qui s’insinue partout et s’en vient de de l’autre côté de la Méditerranée réanimer les fantômes maures. Le marinas souffle pendant des périodes assez longues que certains nomment par abus de langage des marinades. Le marinas amollit… Le marinas colle, pègue, poisse, englue parfois. La marrane s’insinue par les pores de la peau, imbibe muqueuses, sinus, pénètre cartilages, os jusqu’aux moelles, afin de noyer l’âme… Si le, la saudade est un long regard porté vers un nulle part à jamais nostalgique au-delà des Océans, l’individu qui a la marrane est un être perdu loin en lui-même, au cœur d’un Océan, d’une huître primordiale. A noter que pour avoir la marrane, il faut l’attraper ou la choper comme un rhume, une bronchite… Les languedociens portent ainsi malgré eux, en leur inconscient, un grand filet à papillons. La marrane peut toucher toute une population, s’engouffrer loin dans les terres, par l’intermédiaire du vent d’autan atteindre le Tarn et Toulouse. Ne dit-on pas dans ces contrées “qu’il sème le trouble dans les asiles, perturbe les anesthésies (elles ont du mal à prendre, et provoque prématurément les naissances. “ La marrane est la manière singulière des habitants du littoral, des étangs, de se noyer avec l’eau du poisson.
De la marrane comme spleen d’oc. Part 2.
Depuis hier, j’ai chopé la marrane, à moins que cela ne soit elle qui m’ait rendu captif. La marrane est une dame noire et blanche qui au-delà de mon corps dans une alcôve s’emploie à mon étiolement. La maranne affiche un r, parfois deux, un n parfois deux. Tantôt insulte arabe, tantôt juif converti, ibère bannissement, maladie des moutons et mildiou de la vigne. Ses mains sont rouges de sangs très anciens et parcourus de signes kabbalistiques, zodiacaux, runes, gorgones, arbres de vie… Elle les passe devant mon visage comme on sasse le néant. Mon âme se contracte, se lâche, résiste, cède, alternativement s’assèche et s’imbibe de nuées, du suc du désespoir, du coton de la mélancolie.
Depuis hier, j’ai chopé la marrane, à moins que cela ne soit elle qui m’ait rendu captif. Le marinas soufflait très fort, embruns, sels et phares à iodes. Les saouquanelles s’ébattaient d’impatience au-dessus des étangs, les loups chassaient, les anguilles s’étuvaient, les moules marinaient. Me suis enterré dans le sable, mes yeux l’ont dévoré. Insatiable, ai alors avalé les alignements trigonométriques des vignes, souquets et autres gabels. Les ai gobés à l’hectare, en clos, en clus, en ric et en rac. Me suis attaqué alors aux nuages, à la mer et tous ses bateaux. Le soleil a tenté de résister, la lune l’a remplacé. Ils n’avaient pas rendez-vous. La lune m’a pris dans ses filets. J’ai alors vomi deux crabes. Deux crabes très colorés. Des crabes étranges, étrangers.
Depuis hier, j’ai chopé la marrane, à moins que cela ne soit elle qui m’ait rendu captif. Suis devenu funambule moi qui ai si peur du vide. J’avance sur un fil vers une absence d’éternité. Le vertige est en moi, il croît, il croît, il croît. Le vertige est à freux, donc à corbeaux noirs. Never, never, never more. ! Le monde est devenu tout blanc. Le film vient de casser. La pellicule brûle dans une oraison chimique. Je suis vil. Je suis vieux, rongé de l’intérieur par des pensées assassines obsédantes. Mais je ne m’offrirai pas aux dieux. Dernière coquetterie dans l’œil, j’invente mes litanies. Je les saupoudre de sel, en tire des calomnies. Je jongle avec et m’insupporte. Je supporte le ciel et ses raies tourmentées, ses requins, ses peaux bleues, ses étocs et ses ires. Je suis le rondinaïre, le devarié, le distimbourlé, le descabestrat… Je suis Moha le fou qui sombre dans l’Atlantide.
Fabrègues, le 30/07/2024